IMPONDÉRABLES
Après la guerre des éléments,
après la lutte pour la vie,
celle du lourd et du léger !
C’est un point de vue audacieux.
Le jeu me semble bien plus grave,
aussi complexe, en vérité,
que sont rebelles ses effets
à toute mathématique.
Les anges sont, je crois, partis,
en compagnie des hirondelles,
en nous laissant le poids du monde,
toutes ces questions qui se posent
sur nos paysages inquiets :
as-tu cessé de distinguer
les hyènes des tyrans ?
De confondre ce qui apaise
avec ce qui toujours afflige ?
As-tu encore, dis-moi, le choix
entre missiles et missives,
entre la caresse et l’offense,
entre l’argument et l’insulte ?
Peux-tu sauver ta clairvoyance,
tricoter un joli délire
moins nocif que celui du monde,
pour oser rêver l’impossible :
choisir enfin tes cauchemars
et refuser des amitiés,
n’interpréter que les silences,
comprendre enfin tout Héraclite
et le dialecte des moineaux
plus insolent que les soleils,
faire au creux de ta main tourner,
docile comme une toupie,
la planète qui tourne mal.
Peux-tu espérer l’équilibre
entre la fleur et le granit,
les sèves impulsives
et les roses défuntes ?
Loin, très loin
des porteurs de mort,
avatars de tzars insatiables
rejouant avec arrogance
une guerre d’un autre temps.
Loin, vraiment loin des statistiques,
de leur glaciale obscénité
qui jamais ne fera oublier
que l’on ne peut peser les peines,
que l’on ne peut
compter les larmes,
imaginer le temps
que vont durer les haines.
.
RAYMOND FARINA
Extrait de Les grands jaseurs de Bohême suivi de
L’oiseau de Paradigme, Editions N&B, 2024
.
Œuvre Rebecca Dautremer