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EMMILA GITANA
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22 octobre 2007

LE COMBAT ALGERIEN

algerie


À l'homme le plus pauvre
   à celui qui va demi-nu sous le soleil dans le vent
   la pluie ou la neige
   à celui  qui  depuis sa naissance n'a jamais eu le
ventre plein
On ne peut cependant ôter ni son nom
   ni la chanson de sa langue natale
   ni ses souvenirs ni ses rêves
On ne peut l'arracher à sa patrie ni lui arracher sa
   patrie.
Pauvre affamé nu il est riche malgré tout de son nom
   d'une patrie terrestre son domaine
   et d'un trésor de fables et d'images que la langue
   des aïeux porte en son flux comme un fleuve porte
   la vie.

Aux Algériens on a tout pris
   la patrie avec le nom
   le langage avec les divines sentences
de sagesse qui règlent la marche de l'homme
   depuis le berceau
   jusqu'à la tombe
   la terre avec les blés les sources avec les jardins
   le pain de bouche et le pain de l'âme
   l'honneur
   la grâce de vivre comme enfant de Dieu frère des
   hommes
   sous le soleil dans le vent la pluie et la neige.

On a jeté les Algériens hors de toute patrie humaine
   on les a fait orphelins
   on les a fait prisonniers d'un présent sans mémoire
   et sans avenir
   les  exilant  parmi  leurs  tombes  de  la  terre  des
   ancêtres  de leur histoire  de leur langage  et de la
   liberté.

Ainsi
   réduits à merci
   courbés dans  la  cendre  sous  le gant  du  maître
   colonial
   il  semblait  à  ce  dernier  que  son  dessein  allait
   s'accomplir.
   que l'Algérien en avait oublié son nom son langage
   et l'antique souche humaine qui reverdissait
   libre sous le soleil  dans le vent  la pluie  et la neige
   en lui.

Mais on peut affamer les corps
   on peut battre les volontés
   mater la fierté la plus dure sur l'enclume du mépris
   on ne peut assécher les sources profondes
   où  l'âme  orpheline  par mille  radicelles  invisibles
   suce le lait de la liberté.

On avait prononcé les plus hautes paroles de fraternité
   on avait fait les plus saintes promesses.

Algériens, disait-on, à défaut d'une patrie naturelle
   perdue
   voici la patrie la plus belle
   la France
   chevelue de forêts profondes hérissée de cheminées
   d'usines
   lourde de gloire de travaux et de villes
   de sanctuaires
   toute dorée de moissons immenses ondulant au
   vent de l'Histoire comme la mer
Algériens,  disait-on,  acceptez le plus royal des dons
   ce langage
   le plus doux le plus limpide et le plus juste vêtement
   de l'esprit.

Mais on leur a pris la patrie de leurs pères
   on ne les a pas reçu à la table de la France
Longue fut l'épreuve du mensonge et de la promesse
   non tenue
   d'une espérance inassouvie
   longue amère
   trempée dans les sueurs de l'attente déçue
   dans l'enfer de la parole trahie
   dans le sang des révoltes écrasées
   comme vendanges d'hommes.

Alors vint une grande saison de l'histoire
   portant dans ses flancs une cargaison d'enfants
   indomptés
   qui parlèrent un nouveau langage
   et le tonnerre d'une fureur sacrée :
   on ne nous trahira plus
   on ne nous mentira plus
   on ne nous fera pas prendre des vessies peintes
                 de bleu de blanc et de rouge
                 pour les lanternes de la liberté
   nous voulons habiter notre nom
   vivre ou mourir sur notre terre mère
   nous ne voulons pas d'une patrie marâtre
   et des riches reliefs de ses festins.

   Nous voulons la patrie de nos pères
   la langue de nos pères
   la mélodie de nos songes et de nos chants
   sur nos berceaux et sur nos tombes

   Nous ne voulons plus errer en exil
   dans le présent sans mémoire et sans avenir

   Ici et maintenant
   nous voulons
   libre à jamais sous le soleil dans le vent
             la pluie ou la neige
   notre patrie : l'Algérie.

Jean Amrouche
Paris 1958
poèmes algériens

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