ALI KHADAOUI...EXTRAIT
J'avais quelque chose comme un rêve à te dire
un sourire de soleil en plein hivers
des mots jolis à faire rougir Mozart
des contes de grands-mères à t'endormir debout
Le temps, le temps,
Le temps a subtilisé mes mots
Le temps m'a exilé dans d'autres mots
Le temps a momifié le temps
Le temps ces larmes des mots qui nomment l'absence
Les larmes ces anges d'enfance qui diluent la souffrance
La souffrance ce prix à payer pour voir clair dans l'existence
L'existence cette fleur insensible à la lumière des sens
Alors
Alors les tombes sont aussi belles
aussi cruelles que l'amour
Les tombes anonymes des enfants des martyrs
Les tombes apparues sous les cris disparues en silence
Alors devant ce charnier qu'est devenue la terre entière
je m'incline
Et dans un murmure d'eau douce au monde entier
En cette fin de siècle de faim d'opulence de folie meurtrière
Mon regard prononce des « iwaliwn »[1] qui n'ont jamais existé.
Ali Khadaoui
Kénitra le 14-12-2002.
[1] « des mots » en langue amazighe
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.Note biographique :
Je suis amazighe [berbère] du Maroc, né au Moyen Atlas vers 1953, un certain jour du mois de Septembre d'après ma mère. Ma langue et ma culture mères [orales] sont donc amazighes et c'est à travers elles que j'ai entendu mes premières berceuses, c'est en elles et par elles que s'est constituée mon identité, une identité dont je suis fier, et pour la survie de laquelle je milite depuis plus de trente ans. C'est à partir de cette identité que je peux m'ouvrir sur le monde et sur les autres sans complexe et que je peux enrichir le patrimoine universel, faisant mienne cette maxime de Saint-Exupéry : « Si je diffère de toi, loin de te léser, je t'augmente ».
Pour rappel, les premiers habitants de l'Afrique du Nord, du Sahara Septentrional, des îles Canaries et même d'une grande partie de l'Egypte, se nomment « Imazighen », pluriel de « amazighe », ce qui veut dire « l'homme libre ».Ces habitants sont aussi connus par une appellation exogène qui leur a été collée par les envahisseurs romains: « les berbères ». Cette appellation a été reprise par les conquérants successifs, surtout les français et les arabes. Aujourd'hui, par le biais de la religion particulièrement, la minorité arabe -originaire du Proche Orient- a réussi à imposer son pouvoir, sa langue et ses valeurs sur toute l'Afrique du Nord, si bien que les Etats de cette partie du monde se définissent comme « arabes », ce qui constitue l'exclusion pure et simple des habitants autochtones -largement majoritaires- des institutions des Etat actuels.
Cette situation est dénoncée et combattue par le Mouvement Amazighe depuis les années soixante. Ce dernier essaie de renverser cet ordre colonial et de faire retrouver aux populations de cette partie du monde, une identité qui leur a été confisquée. Il réclame une constitution démocratique où la langue amazighe est reconnue langue officielle, dans un Etat démocratique, pluriel et citoyen. Il le fait par des moyens pacifiques, civilisés, dans le respect des principes des droits de l'homme, de la tolérance, de l'ouverture et de la fraternité humaine.
Dès mon entrée à l'école primaire en 1958, je n'ai pas compris ni accepté que ma langue et ma culture mères ne soient pas admises à l'école. C'est pour cela que j'ai adhéré très tôt au Mouvement Amazighe et que mon combat pour défendre les droits de l'amazighité n'a jamais faibli, au contraire. Progressivement, la recherche m'a permis de prendre conscience de l'histoire et de la civilisation amazighes, de percevoir leurs valeurs propres, de connaître les mécanismes qui ont conduit à leur exclusion dans leur pays d'origine, et ma détermination pour leur sauvegarde et leur revalorisation n'a d'égale que la peur de les voir disparaître. Je suis donc devenu à la fois -par la force des choses- chercheur spécialiste de la culture et du patrimoine amazighes, mais aussi artiste et militant de la cause amazighe. C'est qu'être amazighe aujourd'hui et vouloir le rester, est « nécessairement un acte militant, culturel, éventuellement scientifique, toujours politique », pour paraphraser Salem Chaker, un éminent chercheur et militant amazighe [1].
Mon nom est :
khadaoui, en référence à la fraction « ikhaddaouine », pluriel de « akhaddaoui », de la tribu amazighe [berbère] des ait Maî, l'une des cinq tribus constituant la Fédération des ait « Harkat », elle-même constituant l'une des huit Fédérations qui forment la Confédération des « Izayane », pluriel de « Azayi ».
La Confédération des « Izayane » dont la capitale est Khénifra, appartiendrait selon beaucoup d'auteurs à la branche Sanhadja, très probablement une déformation de la prononciation amazighe de « iznagen », pluriel de « aznag »,ce qui veut dire l'homme rouge. Actuellement, ce groupe « Sanhadja » occupe une immense superficie géographique au Maroc. Celle-ci va de l'Atlantique jusqu'au Sahara. D'après Léon l'Africain, cette occupation remonte au 16e siècle, époque à laquelle les grandes migrations des peuples berbères étaient achevées. On distinguait alors cinq branches : Sanhadja, Masmouda, Zenata, Haouara, et Gumara.
Ce nom, « khadaoui » -avec un seul « d » à cause des scribouillards de l' état civil- est donc une dénomination ethnique. C'est moi-même qui l'ai choisi [instinctivement dirai-je] à l'âge de 11 ans, lorsqu'il m'a fallu en tant qu'élève de la première école primaire coloniale de ma région, établir un état civil écrit pour les besoins administratifs relatif à l'examen du certificat d'études primaires.
Quant à mon prénom, « ali », c'est une reprise du prénom du gendre du prophète des musulmans mohamed. Mes parents sont musulmans et analphabètes, et comme tout bon musulman, donner un nom musulman à leur enfant est une action charitable qui les rapproche de Dieu. C'est ainsi que les prénoms amazighes ont presque cessé d'être utilisés au profit des prénoms arabo-islamiques. Et puisque ce prénom m'a été donné au 7e jour de ma naissance, vous comprendrez que je ne pouvais rien faire pour le contester!
Comme je l'ai déjà annoncé plus haut, j'ai vu le jour dans une contrée de la montagne connue sous le vocable du « Moyen Atlas ». Atlas est un massif montagneux du Nord de l'Afrique. Ce massif s'étend du sud-ouest au nord-est, en s'abaissant progressivement, sur les trois pays du nord Afrique : Maroc, Algérie et Tunisie. L'Atlas marocain est composée du Moyen Atlas, du Haut Atlas et de l'Anti-Atlas, avec respectivement, les points culminants suivants : 3356m, 4167m, 3305m.
D'après la mythologie grecque, Atlas est aussi un Dieu géant qui a élu domicile dans ces chaînes de montagnes après avoir été condamné par Zeus à supporter la voûte céleste sur une de ses cornes. La mythologie amazighe -qui a bien des similitudes avec la mythologie grecque- explique les tremblements de terre par le fait suivant : quant la corne qui supporte la voûte céleste est fatiguée, et qu'Atlas veuille le monde sur l'autre corne, la terre tremble inévitablement.
Atlas est aussi désigné par Platon comme le roi de l'Atlantide, cette cité mystérieuse dont l'emplacement n'a pas encore été localisé de manière définitive.
La vallée où je suis né est dominée par une montagne appelée « Ighoud », ce qui veut dire le « beau » en langue amazighe, en référence au Dieu de la beauté. C'est dire que je suis né en plein territoire des mythes, et que je suis habité par tant d'histoires racontées par les vieux qui ne laissaient passer aucune occasion pour s'adonner à leur sport favoris : raconter des histoires aux petits qui n'en demandaient pas moins jusqu'au sommeil. C'est ainsi que se transmettait la tradition et l'histoire dans une société agro-pastorale égalitaire où, « du prince au berger, chacun avait la même ration de fromage et de laitage ».[2]
C'est le pur des hasards qui m'a conduit sur le banc de l'école coloniale, car là où j'ai vu le jour, l'école n'a été construite qu'en 2004. En effet, je venais d'avoir juste sept mois lorsque ma mère tomba enceinte de ma sour cadette. Par peur que je ne tombe malade à cause du lait d'une femme enceinte, ma grand-mère maternelle qui habitait Ziar, un petit hameau dans la plaine, me prit chez elle. Elle aussi venait juste de perdre son mari, mon grand-père maternel et avait besoin de compagnie.
C'est ainsi que le destin voulut que j'aille à l'école, contrairement à mes autres frères et soeurs. Au village de ma grand-mère, j'allai à l'école islamique pour apprendre le coran dès un âge très bas. C'est une école où on apprend le texte religieux par coeur, dans la langue arabe, sans rien comprendre, à l'aide d'une pédagogie de la terreur : celui qui n'avait pas appris sa leçon comme il fallait, était soumis à une torture digne des polices des régimes les plus sanguinaires. Nous étions loin de la pédagogie d'apprentissage libre par observation et imitation pratiquée chez Imazighen. Mais le sacré a sa logique, et la majorité des parents acceptaient que leurs rejetons soient ainsi terrorisés et pour cause de Dieu ! Les maîtres leur disaient que toute trace laissée par le bâton de la torture au msid [nom de l'école coranique] ne brûlait pas en enfer. Les parents étaient donc persuadés que le corps de leur enfant qui, chaque jour était noirci par la grâce des coups du maître à des endroits différents, finirait par aller au paradis !
Ce n'était pas le cas de ma grand-mère qui, par amour pour moi, par respect de la tradition amazighe, avait toujours refusé que je sois tabassé par le fquih [le maître coranique]. Chaque fois qu'il y avait un nouveau fquih , elle allait le prévenir : « Monsieur, sous aucun prétexte, vous ne touchez pas à mon enfant même s'il n'apprend rien du tout ». Et la réputation de ma grand-mère comme femme sage mais ferme était bien faite. J'avais donc la paix, et j'apprenais mieux que les autres.
Après quelques années au msid, une école coloniale moderne est construite au village et les autorités obligèrent les parents à mettre leurs enfants à l'école. J'étais dans le lot.
L'école ! L'école qui aurait du être un lieu d'apprentissage, de construction de soi en harmonie avec la langue, la culture et l'identité des enfants que nous étions, a plutôt été l'instrument d'une coupure avec soi, avec les parents et le groupe d'appartenance d'origine. Ce qui n'a pas manqué d'amener le plus grand nombre des scolarisés à renier leur langue, à ne plus la parler même avec leurs parents qui ne connaissent pas un mot des deux langues de l'école : l'arabe et le français.
Mais c'est surtout l'arabe, présent dans le pays depuis plus de 14 siècle, langue du coran, donc sacralisée par les idéologues de l'arabisme, qui finira par devenir un tsunami qui a progressivement englouti la civilisation amazighe. Le processus -toujours en cours- a conduit à l'arabisation de régions entières, surtout les régions côtières et les plaines intérieures. Seules les zones difficiles d'accès comme les montagnes et le Sahara ont pu garder leur identité. Mais jusqu'à quand avec les moyens modernes de communication ?
En 1964, j'obtenais mon Certificat d'Etudes Primaires [CEP]. Je devais donc rejoindre le Collège à 16 km de mon école primaire. Mais 16 kms pour moi, à l'époque, c'était des centaines de km ! Arrivé vers 7heures par taxi à la ville de Khénifra, je me mis sur un mur bas et restai cloué sur place, ne sachant où aller. J'étais tout simplement rebuté par la ville et sa multitude. Je demeurai là jusqu'à ce qu'une main se posa sur mon épaule : « ali, que fais-tu là ? ». C'était mon maître d'école primaire qui était en ville et qui venait prendre le taxi pour aller à l'école de Ziar. Il me montra le chemin qui conduisait au Collège, m'encourageant par ces mots : « Tu ne risques pas de te perdre, il te suffit de suivre ce boulevard jusqu'à ce que tu tombes sur une grosse bâtisse à gauche, après le pont, devant laquelle tu trouveras les élèves qui entrent et sortent'. C'est ainsi que débuta mon entrée au Collège.
Du collège au Lycée, du Lycée à l'Université puis à la profession d'enseignant, mon itinéraire a été celui d'un enfant paysan scolarisé, coupé de ses racines, sevré de sa liberté, de ses copains d'enfance, de sa langue maternelle, de sa culture, des paysages où il a gambadé pendant toute l'enfance. La rupture d'avec les miens, ma langue et la culture maternelles n'a pas été sans douleur. Seules la chanson [dans ma langue maternelle] et la poésie m'ont été d'un grand secours : elles seules me permettaient d'exprimer la blessure provoquée par cet arrachement brutal à ma région, à ma langue et à ma culture d'origine
Curieusement, aujourd'hui encore, seule cette partie de ma vie compte.Le reste n'a d'intérêt que par rapport à cette période, mais aussi par rapport à un autre paramètre : le savoir et la conscience des choses qu'il permet. Encore aujourd'hui, mon cour aurait préféré que je ne sois pas scolarisé du tout, et que je ne fusse pas coupé des miens. Ma raison, elle, me rappelle ce que je suis devenu : une partie de la conscience de ce peuple amazighe qui, sans cette conscience, livré à lui-même, à son ignorance et à sa misère, disparaîtrait sans laisser que des traces archéologiques.
Parallèlement à ma fonction d'enseignant de français, j'entreprends des études anthropologiques sur la culture amazighe en France, à l'Université Paul Valery à Montpellier où j'obtins un DEA en 1985. La même année, je m'inscrivis en Doctorat d'Université à Aix En Provence sur le thème : « La question amazighe dans l'Etat marocain moderne ». Mais malgré le fait que cette thèse soit achevée depuis longtemps, l'action militante et d'autres raisons ne m'ont pas encore permis d'aller la soutenir. C'est cette année que je compte le faire parce que j'ai pris une retraite anticipée.
En 2001, le Roi du Maroc fait un discours où il annonce la reconnaissance de la culture amazighe et l'engagement de l'Etat de l'enseigner, de la revaloriser en l'intégrant aux institutions du royaume : enseignement, médias, administration. Je fus parmi les militants nommés par le Roi pour siéger au Conseil d'Administration de l'IRCAM [Institut Royal de la Culture Amazighe], comme je fus en même temps détaché dans le même institut au Centre d'Anthropologie en tant que chargé de recherche .
En Février 2004, je suis parmi les sept membres du Conseil d'Administration, qui se sont retirés du dit Conseil pour protester contre la mauvaise volonté du Gouvernement marocain à promouvoir et à intégrer l'amazighité dans les institutions du Royaume et les secteurs sociaux comme le stipule le contenu du Dahir royal instituant et régissant l'IRCAM depuis le 17 Octobre 2001; Je pris également ma retraite anticipée afin de me consacrer entièrement à la défense de la cause amazighe.
Le 1er Janvier 2007, avec le groupe des sept démissionnaires et d'autres militants, nous avons créé « Option Amazighe ». Ce groupe a élaboré une plate-forme qui retrace les cause de l'exclusion de l'amazighité dans l'Etat marocain ainsi que les conséquences de cette exclusion sur la culture, la langue et l'homme amazighes. Elle préconise également ce qui doit être fait pour que cette situation change.
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ALI KHADAOUI