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EMMILA GITANA
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8 février 2008

LE COMBAT AMAZIGHE ..par ALI KHADAOUI (1ere partie)

Où en est le combat Amazighe au Maroc?

 

 Par Ali Khadaoui

 

 

  

 

 

 

  Tout d’abord, je remercie les responsables de Tamazgha de nous permettre d’exposer et de débattre de la situation de l’amazighité au Maroc. Ce débat débordera inévitablement sur la question amazighe en  Afrique du Nord (Tamazgha) en général. En effet, si les populations amazighes vivent des situations différentes, elles connaissent les mêmes problèmes et le combat pour sauvegarder leur identité et jouir de leurs droits historiques et politiques est devenu panamazighe. Réunir les représentants de ces populations pour se parler, se concerter, échanger les expériences afin d’avancer sur le chemin des solutions à leurs problèmes multiples, est une entreprise dont les responsables de l’association peuvent s’enorgueillir, car c’est déjà le début d’une concrétisation de la solidarité panamazighe, objectif ultime du Mouvement Amazighe. De ce dialogue, se dégageront certainement- du moins je l’espère- des perspectives d’avenir qui permettront d’entrevoir une approche raisonnée des problèmes, mais qui doivent impérativement conduire au recouvrement des droits inaliénables des imazighen où qu’ils soient.

 Oui, Imazighen attendent beaucoup- peut-être même un peu trop- de leur diaspora afin qu’elle les aide à rétablir leurs droits historiques, politiques et économiques bafoués par les Etats arabistes d’Afrique du Nord ou ceux non moins dictatoriaux du Sahel. Mais avant de parler de la question amazighe proprement dite au Maroc, essayons d’abord de situer ce dernier pays dans le temps et l’espace amazighe en général, l’Afrique du Nord ou Tamazgha.

 

1-Tamazgha: bref aperçu historique et géographique:

 

Lorsque Chichong le Libyen bat Pharaon de l’époque, la nouvelle fait sensation et projette imazighen (les berbères) dans l’histoire. Il y a de cela 2957 ans. C’est cette date arbitraire qui est retenue par le Mouvement Amazighe moderne comme début du calendrier amazighe. Cependant, bien avant Chichong, en 1227 avant J.C, Meryez le lebou (libyen) est mentionné comme ayant menacé la terre des pharaons sous le règne de Mineptah(1). Bien avant Hérodote, Homère parle de « cette Libye où les agneaux ont des cornes dès leur naissance, où du prince au berger, tout homme a son content de fromage, de viande et de laitage ; les bêtes, tous les jours, accourent à la traite, car trois fois dans l’année, les brebis mettent bas »(2). Etant donnée la situation géostratégique de cette partie du monde, ces populations, depuis des millénaires, ont subi divers envahisseurs, à tel point que leur dénomination ainsi que celle de leur patrie d’origine ont besoin de précisions terminologiques.

  

 a- La dénomination géographique:

 

A travers les temps historiques, ce vaste espace qui comprend toute l’Afrique du Nord et le Sahara Septentrional, a connu diverses dénominations suivant les maîtres et la politique du moment du moment: «libye» avec les grecs, «Africa», «Mauritanie», et «Bérbérie» avec les romains, française avec

la France

et aujourd’hui arabe.

 En effet, lorsque les arabes ont conquis cette partie du monde, ils l’ont dénommée «Al Maghrib», ce qui veut dire « le couchant » en langue arabe, évidemment par rapport au levant, le Proche Orient, leur patrie d'origine. Les géographes arabes parleront donc de «Al Maghrib al adna», (le couchant proche) pour désigner

la Tunisie

actuelle, «Al Maghrib al awsat» (le couchant moyen) pour désigner l’Algérie) et «al Maghrib al AQsa» ( le couchant extrême) pour désigner le Maroc.

 L’appellation «Maroc», est beaucoup plus proche de la réalité étymologique que l’appellation arabe «al maghrib». Ce serait une déformation de la phonétique française du terme espagnol «muerrecus», lui-même déformation de la prononciation arabe de «Marrakech», elle-même déformation arabe de l’expression amazighe « amur n akkuch », ce qui veut dire en langue amazighe : « patrie de dieu ». « Akkuch était le nom qu’avaient donné à leur Dieu les Berghwata, une dynastie amazighe qui avait traduit le coran en langue amazighe, dans une tentative d’échapper à l’islamisation qui a duré plusieurs siècles. Malheureusement, ce sont les Almohades, une dynastie amazighe qui, endoctrinée par un amazighe qui a séjourné en Orient, ont mis fin à cette expérience qui aurait pu soustraire imazighen à l’emprise des arabes à l’instar des Turcs et des Iraniens.

Akkuch est un patronyme encore en usage il y a juste quelques décennies (l’oncle maternel de ma grand-mère s’appelait Akkuch, il était originaire du Sud Est et il est mort à la fin des années soixante !)  Marrakech est aussi le nom de la ville qui aurait été construite par l’une des plus puissantes dynasties amazighes : les Almoravides, qui n’étaient pas aussi puritains que les Almohades. Du vocable « amour », patrie, auraient été aussi forgés les termes « maure » et « Mauritanie ». On le voit, cette archéologie linguistique en dit long sur l’histoire tourmentée de cette partie du monde.

  Car déjà, les appellations passées en revue ne sont pas satisfaisantes: elles ne correspondent pas tout à fait à la réalité linguistique et toponymique de l’Afrique du Nord. Le terme « Afrique du Nord » lui même n’est pas adéquat non plus car il englobe une entité qui a une histoire distincte malgré un bout d’histoire commun: l’Egypte. Le terme « Libye » fait amalgame avec

la Libye

actuelle, alors que le terme Africa qui était limité à

La Tunisie

actuelle, a des connotation impérialistes quand on pense à « Afrique romaine », « française ». Reste le terme « Berbérie » qui désigne à peu près tout le territoire en question, -sans l’Egypte- habité par ceux qu’on a appelé les « berbères », mais qui porte en lui-même, aussi bien dans la bouche des grecs, des romains que des arabes, une charge péjorative relative au terme « barbare ».

   Malgré ces imperfections, nous sommes aux antipodes de l’appellation exclusive et franchement raciste de «Maghreb arabe » que l’idéologie arabo-baâthiste essaie d’incruster dans les esprits depuis des décennies, par l’intermédiaire d’une campagne enragée, relayée par les médias officiels, mais aussi par les innombrables chaînes d’Arabie et du Golfe. Cette campagne qui heurte profondément les sentiments identitaires amazighes, contredit une toponymie qui, malgré les vicissitudes de l’histoire, est demeurée fidèle aux appellations autochtones amazighes, à tel point qu’on peut dire sans exagération aucune que la terre nord africaine ne parle que la langue amazighe ou tamazight ! En effet, la majorité de l’étymologie des noms de lieux, de région, de villes, de fleuves de montagnes comme (Libye, Tunis, les Aures, Tizi Ouzzou, Oran, Tlemcen, Oujda, Ifrane, Marrakech, Agadir, Nouakchot, Tombouktou, Moulwiya, Fazaz, Tétouan, Azila), etc, sont amazighes. Même les appellations qui paraissent aujourd’hui « arabes », sont en réalité des toponymes amazighes dont le sens  a été« arabisé », et souvent juste à moitié, exemples : ain Asardun (le premier terme veut dire œil en arabe, alors que le deuxième terme est resté amazighe et veut dire « mulet ». Au départ donc, l’appellation était et est toujours dans la bouche des imazighen: « tit n asardun », littéralement : « l’oeil du mulet »  en langue amazighe; un deuxième exemple : Oued (rivière en arabe) Zem(de izem, le lion en tamazight) ce qui donne : la rivière du Lion : seul le sens du premier terme a été arabisé.

   Il existe même un autre phénomène linguistique qui montre à quel point les langues en présence constituent une archéologie linguistico-historique comme en témoigne l'expression désignant le nom d’une source à quelques kilomètres de la ville d'Azrou dans le Moyen Atlas au Maroc: « La source de Aîn Aghbal »; cela veut dire littéralement: « la source de la source source »! car :

 « Aghbal »  veut dire source en langue amazighe;

 « Aîn » veut dire source en langue arabe qui avait cru que « aghbal » est le nom de cette source et a donc forgé l'appellation « ain aghbal »

 La langue française a cru que « aîn aghbal » était le nom de la même source et donc a, à son tour, forgé l'appellation « La source de ain aghbal ».

 Devant les imperfections terminologiques précitées, les chercheurs-militants du Mouvement Amazighe ont forgé le terme « Tamazgha » à partir du nom que les habitants de cette partie du monde se sont toujours donnés :« imazighen » pluriel d’ « amazigh », ce qui veut dire « l’homme libre ». Mais pour les historiographies exogènes, le terme amazighe lui aussi pose problème et a besoin de clarifications terminologiques.

 

b- La dénomination des habitants :

 

Comme pour la terre qui leur a toujours servi de patrie depuis des millénaires, les habitants de l’Afrique du Nord (Tamazgha), ont donc tour à tour été appelés, « Libyens » « africains », « maures », « numides » « berbères », et aujourd’hui « arabes ». Pourtant ces habitants autochtones se sont toujours désignés eux-mêmes par « imazighen », pluriel de « amazighe », avec des prononciations parfois légèrement différentes, comme par exemple « imouhagh » chez les Touareg. Cette vérité n’a pas échappé à Hanteau qui affirme : « partout où les populations berbères ont été à l’abri du contact et de l’influence arabe, elles ont conservé des noms appartenant à leur idiome. Elles s’appellent « Imazighen », pluriel de « Amazigh ».(3)

De l’ethnique « amazighe », l’appellation « Tamazgha », retenue par l’ensemble du Mouvement Amazighe, confère à cette dernière une certaine cohérence, une dignité, car elle exprime pour une fois, la réalité anthropologique et linguistique des populations qui l’ont toujours habitée: « imazighen », avec leur langue « tamazight ».

 La langue amazighe possède un alphabet original « Tifinagh » dont certaines datations font remonter les premiers caractères à 3500 ans(4) et qui sont toujours en usage chez les Touaregs dont un mouvement vient justement de proclamer une république amazighe en terre malienne et nigérienne, avec l’officialisation de la langue amazighe et de son alphabet tifinagh. En 2003, l’IRCAM (Institut Royal de

la Culture

Amazighe

)avait déjà adopté tifinagh comme alphabet officiel de la langue amazighe au Maroc. 

 La position géographique de cette partie du monde, en même temps qu’elle a été la cause d’une histoire tourmentée qui peut être résumée en une résistance continuelle de ses habitants contre les envahisseurs successifs, a permis des contacts avec toutes les civilisations du pourtour de

la Méditerranée. Ce

qui a conféré à ses habitants les caractéristiques d’une personnalité qui a toujours refusé et combattu la domination, l’injustice, le racisme, mais, en même temps, une personnalité ouverte, imbue des vertus dont IBN Khaldoun dit(5):

 « Nous croyons citer une série de faits qui prouvent que les Berbères ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave et nombreux ; un vrai peuple comme tant d’autres dans le monde tels les arabes, les perses, les grecs et les romains. Les vertus qui ont honneur à l’homme et qui étaient devenues pour les berbères une seconde nature : leur empressement à s’acquérir des qualités louables, la noblesse d’âme qui les porta au premier rang parmi les nations, les actions par lesquelles ils méritèrent les louanges de l’univers, bravoure et promptitude à défendre leurs hôtes et clients, fidèles aux promesses, aux engagements et aux traités, patience dans l’adversité, fermeté dans les grandes afflictions, douceur de caractère, indulgence pour les défauts d’autrui, éloignement pour la vengeance, bonté pour les malheureux, respect pour les vieillards et les hommes dévots, empressement à soulager les infortunés, industrie, hospitalité, charité, magnanimité, haine de l’oppression,valeur déployée contre les empires de la terre, dévouement à la cause de Dieu et de sa religion; voilà pour les Berbères, une foule de titres à une haute illustration, titres hérités de leurs pères et dont l’exposition, mise par écrit, aurait pu servir d’exemple aux nations à venir. 

 Comme un scénario appris à la lettre, la résistance amazighe contre les envahisseurs est d’abord militaire, mais elle ne tarde pas à prendre d’autres formes : culturelle, spirituelle : Donna, Tertullien qui firent du christianisme une arme de résistance contre l’occupant romain, les kharidjites et les chiîtes contre l’Islam sunnite. Aujourd’hui, cette lutte a pris des formes armées (Touaregs), pacifiques , juridiques, sociales et politiques (Algérie Maroc, Libye, Tunisie, Iles Canaries). Défiant le temps et les lois qu’on a voulu leur imposer, imazighen se sont forgés une organisation sociale qui allie à la fois solidarité et liberté autour de la cellule appelée « Assoun », notion qui a été faussement traduite par « tribu », et qui est loin de rendre compte de la réalité correspondante.

 Assoun, s’il ressemble à la tribu européenne ancienne ou Moyenne orientale, a ses caractéristiques propres : par exemple, le lignage n’est pas strictement sanguin ; les chefs, toujours élus au suffrage direct, se soumettent aux lois de la cité par la force d’une justice qui prime l’observance religieuse. En effet, le droit amazighe « azref », est un droit positif, humain, évolutif, où les sanctions judiciaires sont surtout économiques, morales, et où les châtiments corporels sont totalement bannis, y compris la peine de mort. Quant il y a meurtre, l’assassin est condamné à l’exil. Quant au statut de la femme, il est l’un des plus évolués au monde, car la société amazighe, matrilinéaire, a mis la femme au centre de son organisation sociale. Pour rappel, à la même époque où les arabes enterraient leurs filles vivantes par peur de la honte, imazighen se donnaient des reines pour chefs d’Etat. La dernière, Thiya, (la belle) appelée par les arabes Addahiya (la sorcière) pour la discréditer, est morte justement au combat contre les envahisseurs arabes. C’est dire que le statut de la femme avant l’islam était beaucoup plus en avance que celui qu’on lui assène aujourd’hui. Les lois de guerre interdisaient qu’on s’en prenne aux femmes, aux enfants et aux vieillards ! De plus, le droit est indépendant de la sphère religieuse, car pour imazighen, « la justice prime l’observance religieuse »(6)et la citoyenneté relève du droit du sol et non du droit du sang. La terre des imazighen est une terre où les étrangers acquéraient automatiquement la nationalité du groupe, et les juifs y ont été accueilli et n’y ont jamais connu l’antisémitisme avant la guerre de 67 et l’exploitation de cette guerre par les deux parties.

 Certaines dynasties amazighes ont pu réaliser l’unité des imazighen de toute l’Afrique du Nord, comme Massinissa qui le premier, avait affirmé : « L’Afrique aux africains ». Mais cette unité a souvent volé en éclat sous le poids des colonialismes successifs, mais aussi par les fautes de certains dirigeants amazighes.

 Aujourd'hui, les populations amazighes, estimées à plus de 60 millions d’habitants, se sont morcelées suivant les tracés de frontières héritées de la dernière colonisation. Elles sont aujourd’hui, avec des proportions inégales, de nationalité égyptienne, libyenne, tunisienne, algérienne, marocaine, mauritanienne, malienne, nigériane bourkinabée, tchadienne, Canarienne, sans oublier une forte diaspora en Europe, en Amérique et au Canada. Le critère d’identification étant la langue ce qui est considérablement réducteur-, les imazighen darijisés (qui ont perdu l’usage de la langue amazighe et parlent une langue intermédiaire entre tamazight et l’arabe) ne sont pas comptabilisés, malgré que la majorité d’entre eux, il y a juste quelques décennies, parlaient encore tamazight. D’ailleurs, certains intellectuels parmi ceux qui ont pris conscience de leurs réalités historiques et anthropologiques, commencent à réclamer leur amazighité comme aux Iles Canaries où la majorité écrasante de la population a perdu l'usage de la langue amazighe, mais a acquis une forte conscience identitaire amazighe. C'est d'ailleurs un parti amazighiste qui détient le pouvoir autonomiste interne dans ces îles.

 En effet, la langue « darija », appelée à tort « l’arabe marocain »- est le produit de la rencontre entre la langue autochtone amazighe qui lui a fourni sa structure profonde, et la langue arabe à laquelle elle a emprunté une partie de son lexique(7). Mais comme le lexique dominant de la darija est arabe, comme l’arabe est langue du pouvoir et abusivement affirmée langue du coran (le livre saint de l'Islam), la « darija » est vite qualifiée de dialecte « arabe marocain », et c’est ainsi qu’on en est arrivé à l’expression « d’amazighes arabisés » pour désigner les populations amazighes qui ont juste perdu l’usage de la langue autochtone, mais qui gardent toutes les autres caractéristiques de la culture et donc de l’identité amazighe, identité de toute l’étendue du territoire national, y compris le Sahara marocain peuplé à majorité d’amazighes, mais qui a subi les visées du panarabisme des années soixante dix avec la création de

la RASD

«

la République

Arabe

Sahraouie Démocratique).

 Pendant longtemps, les origines des imazighen ont été recherchées partout et tous les envahisseurs successifs les ont fait venir de leur métropole. Les arabes maintiennent encore aujourd’hui l’affiliation des imazighen au Proche Orient afin de justifier leur politique d’assimilation  malgré le verdict de la génétique qui a tranché : les habitants de l’Afrique du Nord sont génétiquement distincts de ceux du Proche Orient, et le plus ancien berceau connaissable des imazighen est justemnt le centre du désert saharien, à une époque où il était bien arrosé et contenait même forêts, mers, lacs et rivières et une faune considérable comme en témoignent les découvertes archéologiques récentes(8).

Il existe une conscience d'une identité amazighe qui se fonde sur une référence à une histoire, à une culture et surtout à une langue communes, langue d'où sont issues toutes les variantes actuelles. Cette conscience est particulièrement marquée en Algérie, chez les Touareg, aux Iles Canaries et  au Maroc. Mais elle existe aussi à un degré moindre à cause de la repression, en Tunisie, en Libye, et même en Egypte où des tribus amazighes existent encore du côté d'Assouan. Cette conscience fait l'objet d'une patrimonialisation autour de symboles comme l'alphabet tifinagh, le drapeau amazighe et d'autres référents historiques et artistiques. Cette réaffirmation identitaire prend la forme de mouvements amazighes dont certains sont armés comme au Sahel, ou pacifiques mais réprimés tout de même comme hier en Algérie et aujourd’hui au Maroc.

c-Les populations amazighes du Maroc :

 

Aujourd’hui encore, les populations du Maroc sont dans leur quasi majorité amazighes et constituent numériquement le groupe le plus important de toute la population amazighe en Tamazgha. Le portail du Maroc, site officiel du gouvernement marocain a reconnu en 2006 que le dernier recensement avait montré qu’imazighen constituaient soixante quinze pour cent (75%) de l’ensemble de la population marocaine. Mais quelques semaines après que le journal Tawiza (9) ait publié cette information, la donnée a été retirée du site. C’est pour dire combien les statistiques constituent un enjeu politique de taille à ce sujet. Si l'on prend donc en compte les marocains « darijisés » comme étant des imazighen darijisés, l'on peut avancer sans l'ombre d'un doute que, exception faite d'une infime minorité dont le nombre est infime par rapport à la population générale, l’on arrive au moins à plus de quatre vingt dix pour cent d’amazighes (90%). La grande majorité d'entre eux parlent encore la langue de leurs ancêtres, le reste parle la darija, mais ils partagent toutes les caractéristiques non linguistiques de l'identité marocaine amazighe: une identité amazighe avec des expressions linguistiques diverses, résultats des dernières colonisations : amazighe bien sûr, mais aussi darija, arabe, française, espagnole, sans oublier l’ hébraique, seule langue exogène à ne pas avoir été introduite par la force en Tamazgha.

 Au Maroc, comme en Algérie, les régions encore exclusivement amazighophones sont composées de chaînes montagneuses, ou de zones désertiques comme le Sahara. Pour des raisons historiques, et à l’instar de toutes les montagnes de Tamazgha, ( je pense par exemple à

la Kabylie

et aux Aurès), les montagnes marocaines dont la superficie totale avoisine  21% du territoire, sont très peuplées (7 à 8 millions d’habitants). La densité de la population y est de l’ordre de 45% par km en moyenne, elle atteint même plus de 100% pour l’ensemble du Rif.

 La chaîne atlassique en particulier joue un rôle capital dans la constitution de l’écosystème physique marocain, notamment sur le plan climatique car cette chaîne constitue non seulement une barrière contre la désertification rampante, mais aussi un réservoir d’eau et d’air. Ces poumons et château d'eau du pays, recèlent également des richesses non négligeables : forêts, minerais, flore et faune très riches et diversifiées.

  Cette situation est due au rôle de refuge que ces montagnes ont toujours joué face aux nombreux envahisseurs, un refuge qui offrait une variété de ressources qui permettaient une vie des plus saines, des plus riches et des plus sûres il y a juste une cinquantaine d’années. Moha Ouhammou Azayi, héros amazighe marocain de la résistance d’Izayane contre l’occupation française au Moyen Atlas, parlant de ces montagnes a dit : «  les montagnes constituent ma peau, le dir (le poitrail, l’espace qui se trouve entre la montagne et la plaine) ma limite, et les habitants des plaines mes vassaux ». Interrogé à ce sujet, mon père répondit : « à cette époque, tous les dangers venaient de la plaine : les envahisseurs, mais aussi les sécheresses, les sauterelles et les épidémies ! ».

 On comprendra donc que les montagnes et le Sahara, aient pu davantage conservé les caractéristiques originelles des imazighen : des coutumes, des traditions, un art de vivre, un mode de pensée qui sont restés les mêmes qu’il y a des siècles. Chez ces agro-pastoraux, semi nomades ou sédentaires, la pensée dogmatique est tout simplement inexistante. Même leur islam est demeuré « tolérant, simple, parfois même imperceptible au milieu des vieilles traditions religieuses antéislamiques »(10). Ainsi, des valeurs comme la solidarité, la tolérance, l’hospitalité, le respect de la nature, de la femme, des enfants et des vieillards, le courage, l’amour de la liberté constituent les finalités d’une éducation qui se fait oralement et par observation et pratique. De ces lieux, on hérite d’une âme sensible à l’injustice, car la société était il y a juste quelques décennies, très égalitaire. Quand on naît dans ces régions également, l’on ne peut pas échapper au démon de la poésie car de ces lieux, on hérite d’une âme qui ne peut aucunement rester insensible à la beauté. Cette âme a été pathétiquement exprimée par Fadma Ait Mansour Amrouche dans son livre « Histoire de ma vie » que je conseille à tout amazighe de lire. Ecoutons-la : « Jamais, malgré les quarante ans que j’ai passés en Tunisie, malgré mon instruction foncièrement française, jamais je n’ai pu me lier intimement, ni avec des français, ni avec des arabes. Je suis restée toujours, l’éternelle exilée, celle qui, jamais ne s’est réellement sentie chez elle nulle part. Aujourd’hui, plus que jamais, j’aspire à être enfin chez moi : dans mon village, au milieu de ceux de ma race, de ceux qui ont le même langage, la même mentalité, la même âme superstitieuse et candide, affamée de liberté, d’indépendance : l’âme de Yughurtha ».(11)

 Depuis les temps immémoriaux, les populations amazighes ont hérité cet esprit de liberté autour duquel s’organise toute la société. Aujourd’hui, ces données ont évolué et évoluent toujours suivant le degré de désamazighisation de la société.

 

d-Imazighen du Maroc et les dernières colonisations:

 

 -La colonisation arabe :

 

Présentée par les historiens et les idéologues arabes comme « un fath » (ouverture), cette colonisation est des plus insidieuse car elle a utilisé -et utilise toujours- l’islam comme couverture à son entreprise coloniale. L’islamisation forcée des imazighen (Ibn Khaldoun nous apprend qu’ils ont apostasié douze fois) a entraîné l’arabisation de confédérations entières de tribus et amené des générations successives d’amazighes à se sentir, à se dire arabes contre toutes les données objectives de l'histoire, de l'anthropologie, de la linguistique et même de la génétique. L’idéologie arabiste contemporaine continue un processus lent mais qui a déjà détruit une grande partie du potentiel anthropologique et linguistique amazighe sur l’ensemble de Tamazgha. Cependant, au Maroc (comme avant en Algérie), Imazighen ont réussi a sauvegarder leur identité vis à vis de l'arabisme jusqu'en 1912, année de la colonisation française. Ce sont les français en fait qui ont livré Imazighen pieds et mains liés au pouvoir central de la minorité aparthéidiste arabo-fasciste qui les opprime depuis ce qu'elle appelle « l'indépendance », et qui n’était jamais parvenu à les soumettre auparavant.

En effet, « l’indépendance » dont on parle au Maroc n'est autre qu'une supercherie où français et faux nationalistes se sont mis d'accord pour barrer la route à la résistance amazighe montante en tant que mouvement de libération des imazighen.

 

-La colonisation franco-espagnole :

 

Elle a constitué une grande catastrophe pour imazighen: pour la première fois de leur histoire, ils ont été atteints partout dans leurs repères séculaire : les montagnes, le Sahara et les Iles Canaries. Par amour de la liberté, imazighen ont payé un lourd tribu à la résistance armée contre l’envahisseur: plusieurs décennies de guerre de résistance acharnée et inégale, ont été des plus désastreuses: pour la première fois de leur histoire, Imazighen vont perdre le contrôle sur leur destin, avec un coût énorme. Au Maroc,  des milliers –si ce n’est des millions- de morts, de destructions massives, (des centaines de villages détruits, des millions de têtes de troupeaux décimés, des milliers d’hectares brûlés, (même le napalm a été utilisé comme dans le Rif).

 En plus de la destruction de leurs structures économiques et la spoliation de leurs richesses, les structures politiques des imazighen ont été aussi détruites. Vaincus par deux puissances mondiales à qui ils ont tout de même infligée de très grandes défaites (Elhri au Moyen Atlas avec Moha Ouhammou Azayi en 1914, Anoual avec Abdelkrim Alkhattabi en 1921),(12), imazighen ne cessent de subir les conséquences de leur résistance et surtout de payer le prix de leur défaite.

 Ayant toujours peur de leur esprit de liberté et d’indépendance, le pouvoir central les a exclus des projets de développement afin de les pousser à émigrer en masse soit à l’intérieur soit à l’extérieur du pays, si bien que la diaspora montagnarde amazighe marocaine- comme l’algérienne- dans le monde se compte par millions, et certaines villes -surtout celles des montagnes -se sont naturellement amazighes pour certaines à 100%, comme Nador et Al Hoceima. En plus de cette marginalisation économique et sociale, l'Etat marocain moderne né des accords d'Aix-Les Bains, pratique à leur égard une politique de discrimination linguistique et culturelle visant ni plus ni moins leur disparition en tant qu’identité première du pays au profit d’une identité qu’on essaie depuis longtemps de mettre en place : l’identité arabe sous couvert de l’islam. C'est pour atteindre cet objectif que la constitution marocaine va être affirmée en seuls termes d'arabo-islamité, excluant de fait Imazighen de toutes les institutions de l'Etat.

 

2-L’amazighité dans l’Etat marocain moderne :

 

 On l’a vu, le plus grave accident historique qu'a connu l'identité amazighe au Maroc dans les temps modernes remonte au début du 20e siècle. Pour la première fois depuis le VIIIe siècle, les intérêts de l'Orient arabe et les appétits de l'Occident s'allient pour briser la ténacité historique amazighe, jalouse de son indépendance à l'égard de tous les conquérants successifs.

Cette alliance s'est concrétisée par la signature en 1912, du traité du Protectorat qui légitimait la colonisation du Maroc. La contre partie étant l'écrasement de l'opposition populaire à la cupidité du makhzen (appellation du pouvoir central au Maroc) et de ses bases socioculturelles. C'est cette collusion d'intérêts qui explique aujourd'hui les origines de l'exclusion officielle de l'amazighité de toutes les institutions de l'Etat moderne marocain.

 L'écrasement militaire des tribus amazighes de 1912 à 1934, est suivi par la création d'une élite citadine arabo-salafiste favorable au Protectorat, élite qui cautionnera les arrangements d'Aix les Bains en 1955, par lesquels

la France

remettait l'appareil étatique entre les mains de ses protégés (la  coalition des minorités arabistes fassie et alawite). Les imazighen se retrouvent pour la première fois de leur histoire exclus des rouages décisionnels qui engagent l'avenir de leur identité.

Cet exil intérieur de l'amazighité sur son propre territoire n'est donc pas le fait du hasard, mais bien la conséquence d'une planification politique délibérée sur plusieurs étapes.(13)

 

a-Qu'a dit et que dit le Maroc officiel sur sa propre amazighité?

 

- de 1956 à 1996:

 

On l'a vu, l'Etat marocain moderne est né avec le Protectorat français et espagnol. Le Maroc dit « indépendant », en plus du centralisme et du jacobinisme hérité de

la France

, va affirmer sa première constitution et toutes les suivantes en seuls termes d’arabo-islamité, reniant ainsi la réalité historique, linguistique, anthropologique, sociale et politique des imazighen. Le préambule de la constitution de 1996, qui reprend les précédentes - toujours en vigueur, énonce : « Le royaume du Maroc, Etat musulman souverain, dont la langue officielle est l’arabe, constitue une partie du Grand Maghreb Arabe ».

Dans les années cinquante et soixante dix, les ambitions politiques amazighes sont réprimées dans le sang au Moyen Atlas, dans le Sud Est, dans le Rif. Les Coups d'Etat du début des années soixante dix,  décapitent l'élite amazighe de l'époque essentiellement constituée d'officiers de l'armée du Moyen Atlas et du Rif, laissant la voie libre aux années de plomb qui vont suivre, et dont les victimes sont- curieusement- à plus de quatre vingt dix pour cent (90%) amazighes !

 Le Sous bascule lui aussi dans l'opposition politique et fournit à l'UNFP (Union Nationale des Forces Populaires) ses plus fidèles militants qui, à leur tour, fourniront des contingents de prisonniers et de tués. 

 

 Conformément à cette constitution, l’ensemble du système administratif, politique, éducatif, judiciaire et médiatique marocain est dominé, imprégné par la langue et l’idéologie arabo-islamique. Profitant des événements sanglants précités, le régime de Hassan II opte pour le recentrage de l'identité du Maroc vers l'arabo-islamisme, ce qui permettra aux tenants de cette idéologie, de purger l'administration et les hautes fonctions au sein de l'armée de l'élément amazighe. Imazighen mis au pas par une répression sanglante, constante et systématique, le pouvoir peut alors tranquillement appliquer sa politique à coup d’intimidations, de menaces, de répression, de bourrage de crânes à l’école et dans les médias.

 

 Faisant fi des droits de l’homme, des recommandations de l’UNESCO qui préconisent l’insertion de la langue maternelle dans le système éducatif dès les premières années et l’utilisation de celle-ci dans la lutte contre l’analphabétisme des adultes, (lutte subventionnée par les Nations Unies), l’Etat marocain a opté pour une politique d’arabisation tous azimuts : l’enseignement et la justice sont arabisés et la lutte contre l’analphabétisme se fait également dans la seule langue arabe classique, seule langue officielle du pays ; l’histoire, la culture et les arts amazighes sont bannis des programmes et des activités culturelles officielles, exception faites des exhibitions folkloriques pour des desseins bien définis. Sur la reliure de certains livres officiels d’histoire, on peut lire : « histoire du Maroc », mais quand on feuillette le livre, on découvre qu’il s’agit en fait de l’histoire de l’Arabie et des empires musulmans du Proche Orient.

 Les populations amazighes du Maroc, ont fait et font toujours l’objet de violations de leurs droits culturels et linguistiques pourtant garantis par l’article 5 de la convention internationale contre toutes les formes de discrimination raciale, et que le Maroc a ratifiée.

 L’administration et la justice n’ont pas échappé à la stratégie d’arabisation : il est interdit aux citoyens amazighes de parler leur langue avec les responsables administratifs; interdit aux prévenus de se défendre dans leur langue maternelle, même quand ils ne connaissent qu’elle, et les interprètes n’existent plus (Le protectorat français avait institué des interprètes après les avoir formés. La justice du Maroc « indépendant » les a supprimé afin d’obliger imazighen à s’arabiser). En plus de ces mesures, l’Etat civil interdit aux imazighen de donner des noms ou des prénoms amazighes de leur choix à leurs enfants.

 D’autre part, l’accès aux médias, écrits -exception faite de quelques journaux indépendants ces dernières années- et audiovisuels, totalement sous l’emprise de l’idéologie arabiste, est interdit à quiconque ne partage pas les thèses dominantes. La présence de l’amazighité dans les médias se limite aux chansons folkloriques des plus déplorables, et dont la plupart remontent aux années cinquante. Les jeunes chanteurs amazighes engagés, marocains de Kabylie par exemple ne sont pas diffusés. De plus, les moyens de diffusion qui remontent aux années cinquante ne permettent qu’une audience très limitée de ces programmes déjà méprisés par les auditeurs.

 Depuis 1994, en réaction aux événements de Goulmima, la télévision marocaine consacre quelques minutes à l’information dans les trois « dialectes berbères ». C'est une réplique identique à ce qui se dit sur les antennes arabisées, et qui est strictement réservée à la sphère identitaire arabo-islamique : à longueur de journées, la propagande arabo-islamiste bat son plein: on n’y parle que de l’histoire arabe, des valeurs arabes, des poètes arabes, des savants arabes, des droits des arabes, du cheval arabe, des chiens et chats arabes, de la presse arabe, du Maghreb arabe, de la ligue arabe, et même tout ce qui n’est pas arabe le devient tant le zèle dans ce domaine est largement récompensé.

   L’espace réservé à la culture, à l’histoire, à l’identité ou aux revendications amazighes est des plus réduit. Quand, des fois, on bute sur quelque chose d’amazighe qu’on ne peut en aucun cas fausser, comme les découvertes des fouilles archéologiques par exemple, les vestiges sont toujours attribués à des apports extérieurs, (romains, vandales, grecs,) mais jamais au peuple autochtone amazighe, afin de passer sous silence toute preuve de l'existence d'une civilisation amazighe digne de ce nom.

  Les associations amazighes, émanation de la société civile amazighe, et seuls défenseurs de ses droits linguistiques et culturels, n’ont droit à aucune subvention de l’Etat, subvention qui est largement octroyée aux associations d’obédience arabo-islamiste. Des centaines de millions de dirhams sont chaque années dilapidés à payer des chanteurs arabes frères, des congrès arabes, des associations arabes, à aider des mouvements de libération frères dont les budgets dépassent largement ce qui est alloué au développement des régions amazighes, les plus pauvres du pays. Ces mêmes associations amazighes qui ne reçoivent aucune aide de l’Etat, voient leurs activités très limitées par des moyens arbitraires divers.

   Cependant, étant donné le très faible taux de scolarisation, l’immense gâchis de l’échec scolaire dans ces régions amazighes délaissées, la faiblesse de la société civile et des médias, ces populations sont plus exposées que les autres aux violations de leurs droits les plus élémentaires, aux abus de pouvoir et à une corruption systématique pour de simples services publics rendus. Privés de réels représentants par la destruction de leur système politique de base (imgharn ), par la fraude électorale, et des partis politiques totalement inféodés au pouvoir, les populations amazighes n’ont jamais été aussi pauvres et malheureuses.

  Pour l’idéologie arabo-salafiste au pouvoir, la culture amazighe n’est pas seulement une sous culture arriérée et juste bonne à amuser les touristes, elle constitue une menace pour l’unité nationale, entendez l’unité des arabes, une tare qu’il faut donc à tout prix extirper. C’est ainsi que les idéologues de l’arabo-islamisme ont décidé, juste aux lendemain de l’indépendance, de planifier la mort de ce qu’ils appellent les particularismes amazighes, (Al Jabri, l’un des théoricien du génocide amazighe, a été honoré par l’UNESCO au Maroc à la mi Novembre 2006, lui qui a écrit et qui a toujours défendu la même position jusqu’à aujourd’hui: « il faut tuer les dialectes berbères locaux ».)
 En écho à ces propos, une propagande bien orchestrée à travers l’école, les médias, l’administration et même les mosquées tente de justifier, de légitimer un « ethnocide » qui a déjà fait des ravages parmi des générations entières, des générations qui ont été coupées de leurs parents, de leurs racines, de leur identité, et qui ont été amenées à se dire arabes contre toute raison, même quand leurs parents et grands parents ne parlent que tamazight devant eux. Cette politique visait ni plus ni moins à substituer l’identité arabe exogène à l’identité amazighe autochtone du pays.
 Cette mort programmée en 1956 pour quarante ans, eut comme réaction la naissance du Mouvement Amazighe dans les années soixante dont voici les étapes essentielles, afin que nous puissions entrevoir le chemin parcouru et où en est le combat amazighe au Maroc aujourd’hui....

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EMMILA GITANA
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