Aghbal

.

b- Quelques étapes importantes de l’histoire du Mouvement

    Amazighe au Maroc:

         

Le Mouvement Amazighe au Maroc est un mouvement pacifiste qui revendique les droits élémentaires et naturels des populations autochtones amazighes que le pouvoir en place tente d'assimiler sur leur propre territoire historique. Il incarne le combat d’une communauté majoritaire statistiquement mais minorisée par un pouvoir d’essence arabe, despotique et dictatorial qui a asphyxié l’amazighité pendant plus de cinquante ans. Dans son projet social, le Mouvement Amazighe propose une autre alternative autour des principes modernes et universels: la démocratie, la citoyenneté, les droits de l'homme.

         Patiemment, mais imperturbablement, le Mouvement Amazighe a contribué à la remise en question d’un processus voulu irréversible depuis l’indépendance: la désamazighisation du Maroc comme prix à payer pour une unité mythique avec un Proche-Orient distant de milliers de kilomètres, mais qui a été incrusté dans les esprits et les cœurs par plus de cinquante ans d’une propagande qui n’avait d’autres objectifs que de cacher une vérité : que le Maroc (et toute Tamazgha) n’est pas un pays arabe, historiquement et anthropologiquement parlant.

Date                                                       Evènement…                                                   

      

20 Avril    1980       - Printemps Kabyle                                         

1981                                      -Disparition non encore élucidée d’un militant  chercheur en linguistique :   Boujmâa Habbaz   

                                                                                                                         

1982                            -Condamnation de feu Ali Sidqui Azayko à un an de prison ferme

1991                             - Signature de

la Charte

d’Agadir

1994                           -Arrestation des militants de l'association Tilelli 

1995                          - création du Congrès Mondial Amazighe,

2000…                               -Manifeste Amazighe

  20 Avril 2001                - Le Printemps noir Kabyle

17 Octobre  2001             -Création de l’IRCAM 

21-02-2005                      -Démission de sept membres du Conseil       d’Administration de    L’IRCAM

2006                                    -Création du Parti Démocratique Amazighe

13-01-2007                      - Création du groupe « Option Amazighe »

                                           

                     

         En 1981, l’un des fondateurs de l’AMREC (Association Marocaine de Recherche et d’Echange Culturels), un jeune militant amazighe, l’un des tout premiers Docteurs marocains en  linguistique, disparaît sans laisser de traces. Jusqu’à aujourd’hui, la lumière n’a pas été faite sur son cas. Un jeune journaliste vient de sortir un livre sur sa disparition.(14)        

         En 1982, l’historien feu Ali Azayko,  un des principaux fondateurs de la même association, écope  d’un an de prison ferme pour avoir  écrit que « la culture amazighe est aussi une culture nationale digne de respect, il réclamait « une approche démocratique de notre culture et une réécriture plus juste de l'histoire du Maroc ». Ali Azayko, poète et historien avait donc attenté par ces simples mots à la sécurité de l'Etat arabiste du Maroc. Il faut rappeler qu'en ce temps là, l'expression « culture nationale » était réservée à la seule culture arabe. Il avait exhibé au grand jour les aberrations majeures de l’historiographie maghrébine en général, marocaine en particulier, qui se complaisait à débuter l’histoire de l’Afrique du Nord par l’arrivée des premiers arabo-musulmans. Avec cette sentence démesurée, le Mouvement Amazighe entre en hibernation. Ses activités se font de manière secrète.

           En 1991, six associations signent « la charte d’Agadir » où les revendications relatifs aux droits linguistiques et culturels amazighes sont timidement mais clairement exprimés. En 1992, naissait l'association « Université d’été d’Agadir » dont  les travaux sont immédiatement interdits.

         Le 1er Mai 1994, des militants de l’Association Tilelli (liberté en langue amazighe) défilent sous la bannière d’un syndicat reconnu avec des banderoles écrites en tifinagh et en français, demandant le respect des droits linguistiques et culturels des imazighen. Ils sont immédiatement arrêtés et déférés devant la justice. Ils refusent de plaider en arabe même si certains d’entre eux sont des enseignants de cette langue. Le verdict est lourd malgré une mobilisation générale du Mouvement Amazighe. Le 20 Août de la même année, ils sont graciés par le Roi Hassan II qui fait un discours où il annonce l’enseignement des « dialectes berbères » au moins à l’école primaire. Cette décision royale, la seule de toutes les décisions royales de l’époque, n’a jamais fait l’objet de la moindre exécution.

        L’année 1995 est l’année où la question amazighe transcende les frontières héritées du colonialisme par la création du Congrès Mondial Amazigh. C’est l’internationalisation du combat pour l’amazighité.

         

- De 2000 à aujourd’hui :

      

En Avril 2000, un Manifeste qui demande pour la première fois « la reconnaissance de l’amazighité du Maroc », une justice sociale plus accrue et surtout une représentation plus équitable des imazighen au sein des rouages de l'Etat est signé par plus de trois cents personnalités dont d'anciens ministres. En 2001 ont eu lieu les événements dramatiques baptisés depuis : « le printemps noir Kabyle », événements qui ont donné une nouvelle dynamique au Mouvement Amazighe en général, marocain en particulier. Le 17 Octobre 2001, le nouveau Roi du Maroc, Mohamed VI prononce le discours d’Ajdir et annonce la création de l’IRCAM ( Institut Royal de

la Culture Amazighe

) à l’instar du Haut Commissariat à l’Amazighité en Algérie. Cette décision a été perçue à l'époque comme le début d’une reconnaissance de l’Etat de sa propre amazighité.

         Cependant, après trois ans de pratique ircamiste, il s’est avéré que l’amazighité était dans une impasse institutionnelle qui paralysait l’IRCAM lui même. D’un côté, l’amazighité est reconnue politiquement au plus haut sommet de l’Etat ; d’un autre,

la Constitution

marocaine ne reconnaît pas la réalité amazighe. La volonté politique exprimée par le Roi est donc contrecarrée dans la pratique par les tenants de l’arabo-salafisme, aux commandes de l’exécutif depuis le premier gouvernement Youssoufi en 1998. La langue amazighe demeure donc sans statut juridique, ce qui permet à ses ennemis de bloquer ouvertement les décisions du Roi. La langue amazighe est tout de même enseignée, mais de manière telle qu’elle devient la risée de tous : adversaires comme militants amazighes comme nous allons le voir!

         Après maintes séances de travail et de dialogues avec les ministres concernés par les dossiers objets des litiges, après maints écrits officiels demeurés sans réponse adressés au Roi, après avoir fait le constat de l’échec de ce qu’on croyait être le début de la solution de la question amazighe, 7 (sept) membres du Conseil d’Administration(dont l’auteur de ce texte) nommés par le Roi mettent leurs menaces à exécution et se retirent du Conseil d'Administration de l'IRCAM le 21-02-2005. Dans un communiqué rendu publique, ils expliquent leur geste en donnant preuve sur preuve de l’absence d’une réelle volonté politique du pouvoir à traduire dans les faits les discours politiques. Ils sont depuis retournés à la lutte sur le terrain au sein du Mouvement Amazighe. Depuis, avec d’autres cadres du Mouvement Amazighe, ils ont élaboré une plate-forme intitulée « Option Amazighe »(15).

         

c-La situation actuelle de l’amazighité au Maroc:

      

Quand les démissionnaires mirent leurs menaces à exécution, certaines mauvaises langues leur reprochèrent à l’époque une certaine précipitation. Mais depuis, chaque jour, la réalité démontre qu’ils avaient raison de partir afin de dévoiler au grand jour les contradictions d’un pouvoir dont les actes démentent le discours quand il s’agit de l’amazighité. L’usage public de l’alphabet tifinagh- pourtant promulgué par le Roi comme alphabet officiel devant servir à transcrire la langue amazighe- est toujours interdit par les autorités. L’enseignement tourne à la mascarade, les médias continuent la folklorisation tant dénoncée par le Mouvement Amazighe, la justice continue à juger en arabe des prévenus qui  ne connaissent point la langue des tribunaux, les associations amazighes continuent à faire l'objet d'intimidations, et dernièrement une répression digne des années de plomb s’est abattue sur la tendance amazighe du Mouvement Etudiant. Voyons de plus près ces dossiers.

         L’enseignement : 

         L’enseignement de tamazight (la langue berbère) au Maroc est présenté par le nouveau  pouvoir comme l’une de ses décisions majeures en faveur de l’amazighité. Cependant, la réalité de cet enseignement dément de manière catégorique les allégations de ce même pouvoir quant à sa réelle volonté politique de promouvoir la langue amazighe en l’intégrant dans toutes les institutions de l’Etat.

A l'heure actuelle, l'enseignement de la langue amazighe se caractérise par les faits suivants:

- La langue amazighe n'a pas de statut légal inscrit dans

la Constitution. Ce

qui rend son enseignement public facultatif et dérisoire, comme le stipule

la Charte Nationale

de d’Education et de

la Formation

, seul document légal servant de cadre de référence à tous les acteurs de l’Education et de

la Formation

au Maroc(16).

-cette langue n’est enseignée que dans une dizaine d’établissements dans l’ensemble du pays ;

Cette absence de statut officiel fixé le pouvoir politique et inscrit dans la constitution rend aussi difficile la  construction des curricula valables pour cette langue pourtant parlé quotidiennement par les trois quarts au moins de la population.

- une formation au rabais de quelques jours, dispensée par des personnes non qualifiées à des personnes qui, souvent, ne connaissent même pas la langue qu’elles sont appelées à enseigner.

-Etant donné que cette formation n’est pas obligatoire et donc laissée au bon vouloir des autorités régionales, seules cinq académies sur quatorze avaient organisé des stages de quelques jours pour les instituteurs (tous volontaires amazighes)et les inspecteurs impliqués.

- l’absence de manuels, et surtout de programmes où sont définis objectifs pédagogiques,contenus d’enseignement, méthodologie,critères d’évaluation, etc.

- l’absence de circulaires et de notes précisant les modalités d’application de ces programmes, comme cela se fait pour toutes les matières enseignées dans le public.

- l’absence d’une enveloppe horaire précise comme pour toutes les autres matières, ce qui met les exécutants dans l’embarras car ils ne savent toujours pas où mettre cette "langue".

-La troisième année a tout simplement été une année blanche.

-La quatrième année a connu le même destin que la troisième-, ce qui remet en question la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe prévue pour 2008 par la convention qui lie le Ministère de l’Education nationale à l’IRCAM.

-plus grave, faute de moyens et d’enseignants, il n y a pas de continuité des niveaux dans les quelques établissements où la langue amazighe est enseignée : certains font la première année et s’arrêtent; d’autres arrivent en deuxième seulement.

Autrement dit, cette pagaille volontaire incombe aux responsables du Ministère de l’Education nationale qui ne se sont pas donné la peine de mettre en place une stratégie d’intégration de la langue amazighe dans le système éducatif marocain à partir des besoins réels que nécessite une opération d’envergure qui se fait pour la première fois dans ce pays. En fait, c’est au pouvoir politique qui fixe les finalités de l’éducation, ses objectifs généraux  qu’incombe cette mascarade. C’est le pouvoir politique qui a opté pour cette  solution qui enfonce un peu plus l’amazighité dans le mépris. Ni le cadre juridique, ni les moyens humains, pédagogiques et didactiques nécessaires n’ont été mis en place. Aucune opération d’information et de sensibilisation n’a été entreprise afin de créer les conditions psychologiques favorables à l’intégration d’une langue qui, depuis bien avant l’«indépendance», a subi l’anathème du pouvoir et est confrontée à l’hostilité de la coalition au gouvernement, coalition qui constitue un obstacle infranchissable non seulement devant toute tentative de réforme du système éducatif, mais du système politique tout court. Jusqu’à maintenant, les responsables éducatifs, au plus haut niveau, choisis pour leur fidélité à l'idéologie arabo-islamiste ne cachent pas leur position: pour eux, l’enseignement de la langue amazighe est non seulement une perte de temps, mais surtout un danger pour l’unité de la nation arabe du Golfe à l’Océan!

         N’oublions pas que, déjà, en 1994 , Hassan II avait- et c'était la première fois dans l'histoire de la monarchie- annoncé l’enseignement des "dialectes berbères». Cette décision est la seule de Hassan II à n’avoir jamais été appliquée, et les tenants de l’"arabocratie" rappellent toujours ce précédent avec une fierté nostalgique.

         Ainsi, ce qui est montré comme une preuve de bonne volonté du pouvoir actuel à l'égard de l'amazighité n'est qu' un trompe l'oeil qui ne trompe plus personne. Sans l’inscription de cette langue dans

la Constitution

comme langue officielle à l’instar de la langue arabe, son enseignement demeurera la preuve de la non reconnaissance par le pouvoir de l’amazighité du Maroc.

Les fais relatés démontrent aussi que l'Etat marocain dans ses nouvelles orientations manque de clarté et de fermeté dans sa volonté affichée de répondre aux attentes légitimes des amazighes. Aux bonnes intentions et déclarations politiques, il manque un arsenal juridique capable  de réhabiliter réellement tamazight. Un arsenal qui doit protéger l'amazighité dans toutes ses dimensions, qui fixe les responsabilités de chacun et qui oblige chaque organe exécutif à s'acquitter de sa mission, sous peine de sanctions exemplaires.

         

Les médias

       

Rien n'a changé dans le fond. Comme dans les années d’avant 2000, la spécificité amazighe est toujours abordée du même point de vue ethnographique que le protectorat. L'image folkloriste de l'amazighité est toujours mise en avant: on continue à sélectionner les émissions où les analphabètes de tous bords sont obligés de répondre aux questions des journalistes arabistes ou de faire leurs prestations dans un arabe qu'ils ne maîtrisent pas afin de les faire tourner au ridicule. L'objectif est de convaincre les spectateurs et les auditeurs de l'infériorité de la culture amazighe et justifier ainsi l'inutilité de financer des productions amazighes « médiocres ».

         Parallèlement à cette politique cynique, on multiplie par cinq les chaînes arabes déjà existantes afin de répondre «aux besoins de la société»! Comme dans les autres administrations, le critère de réussite au Ministère de

la Communication

se réduit à la capacité de canaliser les médias vers la réalisation d'un seul objectif: l'arabisation de la société. Le zèle dans ce domaine est largement récompensé comme est réprimée toute position des journalistes et des agents de l'administration en faveur de la culture amazighe.

                  L’absence de moyens d’information suffisants, riches et libres en langue amazighe est une atteinte sérieuse aux droits linguistiques, culturels, mais aussi aux droits civils et politiques des citoyens amazighes qui continuent à être l’objet du mépris  des responsables de ce pays où le droit d’expression et d’opinion fait l’objet d’une violation quotidienne.

         La justice et l’administration :

         

L’administration et la justice continuent la stratégie d’arabisation : il est interdit aux citoyens amazighes de parler leur langue avec les responsables administratifs; interdit aux prévenus de se défendre dans leur langue maternelle, même quand ils ne connaissent qu’elle, et les interprètes n’existent toujours pas. A ce jour, le Ministère de la justice continue son refus d’appliquer une décision- encore une- royale prise en 2002 : la mise en place de traducteurs pour imazighen dans les tribunaux. Sous la colonisation française, les tribunaux disposaient d’interprètes formés.

         

Les prénoms amazighs :

Les noms amazighes continuent à faire l’objet d’interdiction (même en France imazighen ne sont pas à l’abri de cette discrimination : le cas de la fille du Journaliste amazighe Monsieur Lhoussain Azergui en est témoin).

         La répression du Mouvement Amazighe:

Cette répression va de l’intimidation, en passant par la perturbation voire l’interdiction des activités de beaucoup d’associations.

Depuis des mois, une campagne répressive qui vise à décapiter le Mouvement étudiant amazighe (Mouvement Culturel Amzighe) a été lancée. Des dizaines d’étudiants ont été arrêtés, beaucoup ont été torturés et déférés devant les tribunaux qui ont déjà prononcé des peines très sévères à l’encontre des prévenus à Imteghren (Errachidia), Agadir et Méknès. Cette situation a entraîné des manifestations de protestation un peu partout au Maroc et dans le monde et la dernière en date a mobilisé des centaines de personnes à Rabat, la capitale le 24-11-2007.

         Les faits relatés sont confirmés par les récentes déclarations des officiels de l'IRCAM même sur les ondes de la 2e chaîne de télévision marocaine et attestent que la nouvelle politique « berbère » du makhzen a échoué. Cet échec montre à quel point les forces traditionnellement hostiles à l'amazighité et dissimulées dans tous les rouages de l'Etat, et même à son plus haut sommet, sont capables de bloquer les décisions du Roi lui même.    

         L’IRCAM est donc plus impuissant que jamais devant de telles pratiques car en tant qu’organe purement consultatif, il n’a aucune prise sur les décisions majeures qui engagent l’avenir et le destin de l’amazighité.

Face à cette situation, le Mouvement Amazighe, expression de forces sociales attachées à leurs droits historiques et politiques est déterminé à mener de front le combat pour l'amazighité dans sa relation dialectique avec la démocratie.

         Les leçons d’un scrutin et l'avenir de l’ amazighité au Maroc :

                   Les leçons du scrutin du 7 Septembre 2007:

         

         Les résultats du scrutin législatif du 07 Septembre dernier constitue un désaveu pour le pouvoir qui a tout fait pour éviter un taux élevé d’abstention que tout le monde prévoyait. Mais les résultats constituent également un discrédit des partis politiques qui, toutes tendances confondues, totalisent un score qui ne dépasse pas 10% de la population. Autrement dit, plus de au moins 75% des électeurs se sont abstenus. Parmi eux, un taux élevé de citoyens amazighes qui ont répondu à l’appel du Mouvement Amazighe qui a été l’un des rares acteurs politiques à appeler au boycott des élections.       

         Le dernier scrutin  ainsi que les derniers développements de la question amazighe ont aussi démontré que le Maroc officiel a raté une occasion en or en 2002 pour régler la question amazighe à travers la mise en place d’une constitution démocratique qui reconnaît l’amazighité comme substrat d’une identité nationale ouverte sur tous les apports culturels et linguistiques exogènes: africain, judéîque, arabe, français.

L’amazighité n’est pas uniquement un problème politique, linguistique et culturel ; c’est aussi un problème de valeurs, qui débouche sur une désorganisation dangereuse de la société entière. A commencer par la rupture au sein de la famille, cellule fondamentale de l’organisation sociale dans du pays. Quand les parents ne parlent que la langue amazighe et que les enfants ne parlent que la darija, le dialecte arabo-amazighe), la rupture est consommée entre les générations, et les valeurs traditionnelles cessent de se transmettre et d’être opérationnelles. Dans ce cas, même la crainte, principe sur lequel le pouvoir avait toujours appuyé sa stratégie de gestion des affaires publiques, cesse  d’être opérationnelle.

         Et l’actuel gouvernement de Abbas El Fassi n'augure rien de bon pour l'amazighité. En effet, le Premier Ministre actuel avait juste avant les élections déclaré publiquement qu'il militerait pour que la langue amazighe ne soit pas langue officielle comme le demandent toutes les composantes du Mouvement Amazighe. D'autre part, sa déclaration gouvernementale comporte des non dits qui risquent de mettre la paix civile déjà fragile en péril. Son gouvernement dit-il «  accordera une attention particulière à la valorisation de la langue et de la civilisation arabes, en particulier dans l'administration et la vie publique. Il fera de même pour la langue amazighe en tant que l'une des composantes centrales de la personnalité marocaine et l'un des constituants de la civilisation, de la culture et de la personnalité marocaines. A cet égard, le Gouvernement s'inspirera des hautes orientations de Sa Majesté le Roi, essentiellement celles contenues dans le discours d'Ajdir... ».

         Abbas El Fassi, fils spirituel de Allal El Fassi et du « Mouvement National » qui a exclu en fait l'amazighité de l'Etat marocain moderne après les accords d'Aix-les Bains avec

la France

, tentera de mettre en pratique ce qu'il a toujours reproché au pouvoir alawite de ne pas faire correctement: arabiser de force ce qui reste de la société marocaine afin que le projet des nationalistes arabo-salafiste soit irréversible.

         Mais, n'en déplaise à certains, Abbas El Fasi a au moins le mérite de la clarté. Dans ce sens, il est beaucoup plus respectable que certains amazighes de «service» des Mouvements Populaires, ce conglomérat de notables épaulés par les services de sécurité, infestés d’opportunistes et d’ arrivistes de tous bords, incapables d'assumer leur propre amazighité de manière digne.

         

L'avenir de l'amazighité au Maroc:

         De manière générale, l’avenir de l’amazighité dépend des Imazighen eux-mêmes. Personne ne fera rien à leur place pour assurer une continuité à leur identité, et en premier à la langue amazighe. Mais soyons d’abord d’accord sur une évidence : dans des Etats qui fonctionnent sur l’exclusivité scripturale, aucune langue ne peut survivre aujourd’hui en dehors des systèmes éducatif, médiatique et administratif. Si l’enseignement de la langue amazighe continue comme il est conçu et pratiqué actuellement, si les médias continuent la folklorisation et la clochardisation de la culture amazighe, cette dernière, qui a déjà perdu énormément de son potentiel, connaîtra dans quelques décennies, le même destin qu’en Egypte, en Tunisie en Libye et aux Iles Canaries.

L'enjeu pour le Mouvement Amazighe est le suivant: Comment élaborer une stratégie qui  impliquerait les populations amazighes ? En l'inscrivant dans leur culture et les valeurs qui leur servent de support, mais aussi en la reliant aux questions de développement et à toutes les    valeurs vers lesquelles tend toute société moderne qui se respecte : la justice, l’égalité, la solidarité, la citoyenneté.

Autrement dit, comment faire retrouver aux populations toute la liberté qui permet aux hommes et aux femmes de ressentir leur dignité et de la vivre pleinement sans entrave? Comment leur faire retrouver la fierté qui permet aux hommes et aux femmes d’être créatifs et entrepreneurs?

Aussi bien en Algérie qu’au Maroc, deux pays frères qui s’opposent sur tout sauf quand il s’agit de l’amazighité, la pauvreté dans les régions amazighophones est planifiée depuis l’indépendance, le mépris dont les pouvoir et la culture dominante ont toujours fait preuve à l’égard des imazighen n’a d’égal que la haine refoulée qui a toujours accompagné le déni de reconnaissance de l’existence d’une identité autre que l’arabo-islamisme.

         Quelle stratégie pour que l’amazighité puisse sauvegarder son                identité ?

         

         « L’homme, dit Freud, peut aller vers le meilleur. Il n y a pas de loi naturelle qui l’y oblige, mais il doit y veiller lui-même ». Face à des Etats arabo-islamistes qui pratiquent la même politique discriminatoire et exclusive à leur égard, les résultats obtenus par le  Mouvement Amazighe aussi bien en Algérie qu’au Maroc montrent que les stratégies adoptées n’ont pas été à la hauteur des aspirations même de ce mouvement.

         

         Aujourd’hui, la véritable question se focalise sur: quelle stratégie pour sortir de la lenteur de l’avancée amazighe vers la réalisation de ses ambitions ?

         Avant la création de l’IRCAM, les conditions socio économiques et politiques se caractérisaient par une dictature arabo-salafiste (avec ses partis politiques, ses syndicats, ses organisations tentaculaires) qui ne laissait aucune marge de manœuvre au Mouvement Amazighe. Aujourd’hui, malgré un dégel opéré après la création de l’IRCAM sur le plan symbolique, dans les faits, l’amazighité continue à subir l’anathème des tenants de la pensée dominante comme si de rien n’était. La situation de l’amazighité est donc préoccupante.

On a reproché à la stratégie amazighe d’être élitiste. L’état actuel de la question oblige le Mouvement Amazighe à une révision de cette stratégie. L’objectif est d’arriver à ce que le combat amazighe soit aussi celui des masses amazighes, afin que la pression sur le pouvoir soit à même de l’amener à mieux composer avec l’amazighité.

Cela pose les questions de la référence de tout projet amazighe qui ne peut être qu’identitaire, tout en embrassant les valeurs universelles déjà à l’œuvre dans la culture amazighe : la démocratie, la citoyenneté, les droits de l’homme. Autrement dit un projet de société qui doit s’interroger sur un Maroc futur, capable d’offrir des réponses aux grandes attentes de tous ses citoyens et dans tous les domaines : linguistique, culturelle, mais aussi politique, économique et social.

« Option Amazighe » (17) répond amplement à ces questions car pour une fois, elle pose la question dans sa véritable dimension qui n’est autre que politique :

          La souveraineté de l’amazighité sur son propre territoire, dans un cadre fédéral, démocratique et citoyen. Ce qui nécessite une véritable révolution culturelle et politique qui permettra enfin à ce peuple de vivre normalement et de jouir de tous ses droits historiques, politiques et économiques.

         En effet, les conséquences psychologiques des drames refoulés par imazighen sont profondes. Elles peuvent être résumées par : l’absence de confiance ; le sentiment d’être méprisés ; le sentiment d’être colonisés, le sentiment de ne pas être considérés comme des citoyens à part entière(le drame d’Anfgou, pour ne citer que celui-là, a démontré quel cas les responsables décideurs dans ce pays font-ils des drames qui touchent imazighen : au même moment où les enfants d’Anfgou mourraient par dizaines et que personne ne s’en souciait, des aides médicales, financières et matérielles sont acheminées par bateau et avion vers des contrées lointaines mais « frères » ou amies ! Que les imazighen crèvent tous, cela n’émeut personne au pouvoir.

                  

       L’Etat marocain se discrédite de jour en jour comme en témoignent les termes de la déclaration en 2007 du Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels où « le Comité réitère son inquiétude par rapport au fait que, malgré les efforts consentis pour réduire la pauvreté, 17% de la population du Maroc vit toujours en situation de pauvreté, et que 70% continue à habiter les zones rurales. Le comité réitère sa recommandation au Maroc d’intensifier ses efforts pour réduire le niveau de pauvreté, y compris dans les zones rurales, ainsi  que d’améliorer ses stratégies de développement social, lesquelles doivent intégrer les droits économiques, sociaux et culturels.

           Enfin « le Comité invite le Maroc à considérer la possibilité de consacrer dans la constitution la langue amazighe comme une des langues officielles. Il l’encourage à prendre des mesures nécessaires pour permettre aux parents de donner un nom amazigh à leurs enfants. En outre, il l’exhorte à prendre les mesures nécessaires pour garantir pleinement à la communauté amazighe son droit à exercer sa propre identité culturelle, en conformité avec le paragraphe 15 du Pacte, établissant le droit de participer à la vie culturelle ».

Une langue et une culture ne peuvent vivre indépendamment l'une de l'autre et indépendamment des structures sociales qui leur servent de bases sociologiques et anthropologiques. Aujourd’hui, une langue et une culture dont les bases sont exclues du système des valeurs dominantes est certainement condamnée.

Conclusion :

La question amazighe au Maroc nécessite des réponses courageuses, profondes et adéquates, traduites en décisions courageuses afin de mettre fin à une injustice historique qui n’a d’égal que le génocide des Indiens d’Amérique ou l’Apartheid d’Afrique du Sud. Autrement dit, tant que l’amazighité n’est pas assumée pleinement par l’Etat marocain, la question de la légitimité du pouvoir lui même restera posée, et toutes les dérives sont possibles.

     La langue arabe et l’islam constituent des apports prestigieux, mais dont le Mouvement Amazighe refuse l’utilisation en tant qu’outils de domination, d’oppression et d’exclusion de l’amazighité sur son propre territoire historique. Il fait sien le principe fondamental de l’égalité des cultures, un préalable indispensable à la conscience démocratique. C’est une pensée qui n’accepte pas une hiérarchisation des cultures en supérieures et inférieures, imposée par la littérature coloniale, et qui normalement, n’a plus sa raison d’être dans un pays qui se dit indépendant et qui de surcroît se veut démocratique comme le Maroc.
         Ainsi, contre le messianisme intégriste arabo-islamiste, qui a fini par vomir à la face du monde entier, ses perversions les plus abjectes, le Mouvement Amazighe se fait l’ardent défenseur d’un projet de société où l’identité amazighe occupe une place centrale, mais où la liberté, la citoyenneté, la laïcité, régissent les rapports sociaux dans un Etat véritablement démocratique et citoyen.

L’amazighité est porteuse d’un potentiel terriblement moderne qui ne demande qu’à être reconnu, promu afin de jouer pleinement son rôle dans un développement où l’humain devient le moteur de la créativité et de l’innovation.

         Mais si la politique d’exclusion  de  l’Etat à l'égard de l'amazighité ne change pas de façon radicale, cette civilisation Méditerranéenne vieille comme le temps est  condamnée à disparaître avec sa langue sous les yeux même de ses poètes,  et, dit Jean Dutourd de l’Académie Française : « Rien n’est plus déchirant qu’une langue que tue brusquement l’histoire sous les yeux même de ses poètes ! » Ce qui n’arrivera pas tant qu’il existe un seul amazighe qui se respecte sur cette terre.

         Le pouvoir marocain aura-t-il la sagesse de ne pas trop attendre afin d'arrêter le pourrissement actuel? Le Mouvement Amazighe aura-t-il la volonté de dépasser ses peurs et surtout ses conflits de tendances et de personnes et s'atteler sérieusement à la mise en place d'une nouvelle stratégie qui aboutisse le plus rapidement possible à la reprise en main du destin de l'amazighité par ses propres enfants ?

                   Le regard des imazighen maghrébins sur eux-mêmes a été faussé par une idéologie dévastatrice, à tel point qu’ils n’ont pas une idée précise de leur identité. Il est par conséquent urgent de poser les fondements d'un cadre de référence pour un nouveau projet de société. Ce projet doit partir de la réalité historique et anthropologique de notre pays et s’articuler autour des  vérités suivantes:

-         l'appartenance identitaire de l'Etat marocain qui ne peut être qu'amazighe eu égard aux réalités géographique, historique, linguistique et anthropologique.

-         L'indépendance de l'Islam vis-à-vis de l'arabisme et de la politique afin que la laicité puisse jouer son rôle en faveur de la cohésion sociale;

-         La citoyenneté comme garante de l’égalité de tous devant la loi indépendamment de leur religion, de leur langue, de leur couleur ou de leur sexe.

-         Le tout garanti par une Constitution qui puisse être la gardienne d’un ordre démocratique véritable.

Bibliographie

(1) Camps Gabriel, Les Berbères, Mémoire et Identité, éd. Errance, 1980. p5.

(2) Odyssée IV, 85-90-cité par François Decret / Mhamed Fantar in « l’Afrique du Nord dans l’antiquité : des origines au Ve siècle », Payot, Paris, 1981 , p15.

(3) Hanoteau, Essai de grammaire Kabyle, éd. Challamel. Paris, 1859, pIX .

(4) Hachid, M, Les premiers berbères, entre Méditerranée, Tassili et Nil,    Edisud-Ina-yas. 2001.

(5) Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique Septentrionale », traduction du Baron de Slane et Paul Casanova, librairie Orientaliste, Paris 1978, TomI, p :198

(6) Chafik, M, Les Berbères, leur contribution à l’élaboration des cultures méditerranéennes, Barcelone, 27-30 Juin 2005,p9.(Conférence)

(7) Chafik ,M, Le dialecte marocain : un domaine de contact entre l’amazigh et l’arabe. Publication de l’Académie du Royaume, 1999, Rabat.

(8) Tawiza no 120, Avril 2007

(9) Hachid, M, ibid.

(10) Duvignaud, J ; Chebika, Gallimard,1968.

(11)Fadma Ait Mansour Amrouche, « Histoire de ma vie », Paris, 1976, François Maspero,p :195.

(12) Bernie, G, Moha Ohammou, guerrier berbère, éd. Gautey, Casa, 1945.

(13)  « Option Amazighe », El Maârif Al Jadida, Rabat, 2006.

(14) Bajji Said, « Boujemâa Hebbaz : un Kidnappé sans adresse », éditions Itgel, 2007, Rabat, Maroc.

(15)  « Option Amazighe »-Ibid

2000, Rabat. (16) «

La Charte Nationale

de l’Education et de

la Formation

», Janvier