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EMMILA GITANA
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15 février 2008

RAINER MARIA RILKE

L'amour d'un être humain pour un autre est peut-être l'épreuve la plus difficile pour chacun de nous, c'est le plus haut témoignage de nous-même ; l'oeuvre suprême dont toutes les autres ne sont que les préparations. C'est pour cela que les être jeunes, neufs en toutes choses, ne savent pas encore aimer ; ils doivent apprendre...

Tout apprentissage est un temps de clôture. Ainsi pour celui qui aime, l'amour n'est longtemps, et jusqu'au large de la vie, que solitude, solitude toujours plus intense et plus profonde. L'amour ce n'est pas dès l'abord se donner, s'unir à un autre. (Que serait l'union de deux êtres encore imprécis, inachevés, dépendants ?) L'amour, c'est l'occasion unique de mûrir, de prendre forme, de devenir soi-même un monde pour l'amour de l'être aimé. C'est une haute exigence, une ambition sans limite, qui fait de celui qui aime un élu qu'appelle le large. Dans l'amour quand il se présente, ce n'est que l'obligation de travailler à eux-mêmes que les êtres jeunes devraient voir. Se perdre dans un autre, se donner à un autre, toutes les façons de s'unir ne sont pas encore pour eux... Le don de soi-même est un achèvement...

Pas plus que dans la mort qui est difficile, dans l'amour, lui aussi difficile, celui qui va gravement n'aura l'aide d'aucune lumière, d'aucune réponse déjà faite, d'aucun chemin tracé d'avance... Mais si, à force de constance, nous acceptons de subir l'amour comme un dur apprentissage, au lieu de nous perdre aux jeux faciles et frivoles qui permettent aux hommes de se dérober à la gravité de l'existence, - alors peut-être un insensible progrès, un certain allégement pourra venir à ceux qui nous suivront, et longtemps encore après nous. Et ce serait beaucoup...

La femme qu'habite une vie plus spontanée, plus féconde, plus confiante, est sans doute plus mûre, plus près de l'humain que l'homme, - le mâle prétentieux et impatient, qui ignore la valeur de ce qu'il croit aimer, parce qu'il ne tient pas aux profondeurs de la vie, comme la femme, par le fruit de ses entrailles. Cette humanité qu'a mûrie la femme dans la douleur et dans l'humiliation verra le jour quand la femme aura fait tomber les chaînes de sa condition sociale. Et les hommes qui ne sentent pas venir ce jour seront surpris et vaincus. Un jour... la jeune fille sera ; la femme sera... la femme dans sa véritable humanité.

Un tel progrès transformera la vie amoureuse aujourd'hui si pleine d'erreurs. L'amour ne sera plus le commerce d'un homme et d'une femme, mais celui d'une humanité avec une autre. Plus près de l'humain, il sera infiniment délicat et plein d'égard, bon et clair dans toutes les choses qu'il noue ou dénoue. Il sera cet amour que nous préparons, en luttant durement : deux solitudes se protégeant, se complétant, se limitant, et s'inclinant l'une devant l'autre.

Lettres à un jeune poète, VII (Grasset).

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FEMME_AU_FAUTEUIL

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