MIGRATEUR
Inscrit sur le mur des masses invisibles,
Un éclair gris sur les cimes fluides
Qui m’élèvent sur les crêtes d’une haute portance,
J’obéis à ma route dans la voix du vent
Loin des rives immobiles qui déploient l’ocre et le vert.
Nul prédateur en ces espaces éternellement neufs,
Seul un mouvement perpétuel et beau,
Une portée aux lignes emmêlées, vierge de toute clé
Où mon vol est une calligraphie instable,
Ephémère de place en place,
Jamais semblable mais fidèles aux airs.
Sous mon ventre de neige pâle
La mer roule ses écumes dans la puissance lente des courants.
Du creux de ses vagues errantes
Montent des cycles d’air chargés d’embruns,
Une aile sans fin où se repose l’appel du sud
Et j’embrasse ces vents de houle légers dans l’envergure de mon vol.
Plus haut encore, aux portes des nuées,
L’eau est mon miroir, opaque dans sa mouvance,
Où l’ombre de mon corps ivre de vent
Dessine les arabesques du large qui sont ma liberté
Et ma fierté naît dans le souffle
Des insaisissables volumes au bleu intense des hautes atmosphères.
Les terres sont un souvenir imprécis où se trament d’obscurs destins,
Une réminiscence consciente qui donne sens à mon voyage
Mais l’échange chaud-froid de l’air, de l’eau,
Rythme le glissement de ma silhouette en blanc et noir,
Mariée sur un tapis de cyan à indigo.
Nulle autre beauté ne vient défier l’immense splendeur !
Lavé de toute horreur par la lumière en ses innombrables atours,
Le tracé de mes peines s’estompe dans les brises du large
Tandis que s’effacent de ma mémoire meurtrie les souffrances portées en terre.
J’entends de tout mon être la pulsation du monde
Qui va et vient au gré intime des marées !
La mer sculpte en ma conscience des lames puissantes
Et dans le bruit profond de ses houles
Sourd le grondement que nul mot ne désigne, la vie qui est !
La mer !
Mon coeur ouvert au don sans fin des richesses au parfum de profondeur !
Fidèle sans faillir au cap qui m’est astreinte,
La geste millénaire des sillons engloutis
Apaise mon ombre tremblée dans ses méandres vivants
Dont les secrets aux reflets de cobalt éclairent
La beauté tourmentée de ses surfaces instables.
Je suis amour pour l’espace de vent et d’eau qui drape mon vol !
Ma force naît de l’incessible volonté d’être un
Dans le brassement des airs qui la fécondent inlassablement.
Le chant des rêves s’est tu dans l’immédiate clameur
Du fracas sauvage et beau qui roule aux pieds des cieux
Son incessante masse.
O la splendeur des nefs d’écume irisées dans l’aube montante !
La tentation subtile d’être saisi enfin dans leurs bras de lavande
A l’impénétrable dessein, les fougues océanes !
L’intransmissible caresse des embruns sur mon plumage
Est l’ivresse où s’abîme toute la puissance de mes ailes sauvages!
Bientôt des cimes familières troubleront l’air de leurs arômes calcaires
Et une faim nouvelle naîtra en mon corps engourdi par l’indicible migration,
Mais dans les fades blancheurs du duvet de nos nids
Seront des réminiscences amères de vent et de sel
Inscrites dans nos plumes légères et dures taillées pour les hauts cieux !
À peine éclos, mes petits entendront le chant de l’horizon
Et dans leurs corps gavés de soins et d’espérances s’élèvera l’appel des mers,
L'irrépressible élan qui offrira à leur jeune vol
L’azur et l’indigo, l’alizé pénétrant et la houle obsédante,
Tandis que s’estompera la douleur des pierres qui blessent
En même temps que les falaises désertées des nids défaits.
Le ciel en pleine possession, nous suivrons vers le nord
Les routes larges à l’infini tracées au coeur des nuages au blanc si pur !
Aux vents qui nous repoussent nous adresserons la prière
Des migrateurs en liberté sur l’océan sans frein,
Nous opposerons nos corps fiers et hauts aux fines bises boréales
Et nous trouverons encore et encore cette chaleur qui pulse à notre gorge,
Et nous serons de toute éternité l’air et la mer.
.
LEÏLA ZHOUR
.