POEMES SAHARIENS...Extrait
Découvrez Souad Massi!
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Minuit...
Alger respire encore...
La nuit moite n'arrive pas
à étouffer tous les bruits...
Pourtant je perçois le frôlement
des feuilles
dans l'étonnant et merveilleux
jardin
où se blottit
l'hôtel...
Parmi mes étoiles
qui se bousculent
là-haut,
il en est une,
à laquelle j'ai donné ton nom...
Je reviens des ruelles
à n'en plus finir
Je remonte de la foule
d'où émergeait de temps en temps
une femme voilée
mystérieuse...
...peut-être toi...
Alger respire encore
lourde d'Histoire...
Encore un jour à mettre en compte...
Alger-escale
Alger-transit
Alger-la-Blanche
Alger avant Tindouf...
...Bientôt le sable chaud
l'odeur-pétrole du napalm
des corps sans vie
les yeux vides
ouverts sous un ciel trop bleu
les détonnations sèches
des armes automatiques
les explosions sourdes
fracassantes
coléreuses
Un cri d'homme
deçi-delà
et le silence pesant
étouffant
désavoué...
Des fleurs!!!
il me faut de fleurs
plein les mains
et la tête
plein le coeur
plein les poumons
des fleurs à respirer
à mettre en pot
en terre
en gerbe
La nuit s'ouvre
comme une femme
douce
immense...
C'est une veillée d'armes
Alors on pense
on compte
on additionne
on se souvient
on regrette
on s'en veut
on s'en fout
on comprend...
On aime surtout
on aime grand
comme le vide
qui vous guette...
sans crainte
sans maudire
sans médire
sans rancune
sans façon...
On aime tranquillement
gentiment
Alors Toi
dis à toutes et à tous
qu'ils sont ce soir
à la fête
dans mon coeur...
que c'est pour eux
que je suis là
pour eux
et tous les autres
que je ne connais pas
que je ne sais pas nommer
que je ne peux pas nommer
que je ne veux pas nommer
...Pour eux
pour Toi
pour moi
afin de voir
de dire
de crier...
Qu'ils sachent que c'est là
ma vie
mon métier
mon urgence
ma force
ma responsabilité
ma dignité...
Il monte de la ville
un souffle d'homme
une plainte de femme
un sommeil d'enfant...
Il monte de la ville
un peu de mon pays
de ses cannes à sucre
de ses cayes
comme une odeur de tafia
comme un fond de tam-tam
Il monte de la ville
des souvenirs d'ébène
de gaillac
de manguier
des rires
des claques dans le dos
des tremblements de terre
des palmiers et des lianes
des sapotilles
des quénêpes
des corossols
des mangots
des cachimans
des cassaves
des boborits et du clairain
Il monte de la ville
l'amidon
l'akassan
le sirop
les goyaves
le piment doux
et le choux palmiste
Il monte de la ville
la rivière Moreau
aux écailles d'argent
Bainet, Jacmel,
Marigot, Pétionville,
Kenscoff, Furçy,
et le Morne Bourette
et le Bassin-Bleu.
Il monte de la ville
le Morne l'Hôpital
et le Fort Mercredi
et Port-au-Prince
et son Ile de la Gonâve
et ses quartiers
Turgeau, Lalue,
la ruelle Piquant...
Il monte de la ville
les Cinq Glorieuses
de Janvier 1946
Il monte de la ville
mon sang caraïbe
Il monte de la ville
Jacques Stephen Alexis
René Depestre
Kesler Clermont
Gérard Chenet
et tous les autres
mes frères
Il monte de la ville
la grève de Trieux
les voix de St-Nazaire
les courées de Roubaix
les corons de Béthune
les dockers du havre
les défilés de la Bastille
Il monte de la ville
les oeillets de Lisbonne
les deux frères de Ceuta
l'affiche de Madrid...
La nuit s'efface
un jour s'en vient...
dans la foule des hommes
prend ta place
et
marche...
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GERALD BLONCOURT
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