Je réémerge enfin de mon corps
j'en ressors porteurs de questions essentielles
Le cri mûr
Haut porté sectionnant le Scandale
Mécaniques démontées
Je suis armé jusqu'aux dents
J'ai la cuirasse dure pour m'opposer à toutes les érosions
La mémoire longue pour forcer tous les blocus.
Le rire inextinguible
je suis neuf
Les cicatrices et les greffes se sont déplacées vers les plantes
Elles alourdissent ma marche mais n'empêchent plus mon expansion
j'avais longtemps rêvé
C'était des cauchemars
Courses au ralenti d'exécutions répétitives
Oeils tournoyants
Manifestations à brûlures d'opium
C'était des temples canonnés
Foules érotiques et païennes en pratiques obsessionnelles
C'était des nuits en grossesses de lunes
Astres éteints
Déserts rutilants
Dômes frappés de swastikas
Faces marquées au rouge
Vents cataclysmiques
L'Atlas éruptif en déluge de mémoire collective
mémoire tu m'as sauvé de la supercherie des livres
Tu m'as dicté l'itinéraire de violence
Tu m'as conduit aux sources des interrogations décisives
Tu m'as branché sur les pulsations et secousses de mon peuple
De l'humanité terrorisée retranchée à l'hibernation des grottes gardées par les Cyclopes Rois-Savants de Barbarie j'ai taillé le long de leurs crimes et de tes signes mes arcs et mes flèches
J'y ai confectionné l'Armée et la Parole
J'y ai nomadisé à travers charniers et illuminations
Saveurs de libertés projetées aux confins du futur
houle de conquêtes
Je remerge enfin de mon corps
ce n'était pas le ghetto ni l'enfer ni la digne pour fuir le monde
Ce n'était pas l'appel dit vide l'éducation par le néant
Je sais très peu contemplatif même si ça devait être une des constantes de ce que l'on appelle mon «âme» je ne réponds plus aux appels obsédants
A n'importe quel appel
Je choisis mes constantes mes obsessions et mes cibles
je choisis mon âge mes victoires et mes défaites
je suis l'homme arabe dans l'Histoire chantier en branle remis à neuf par l'avant-garde des guérilleros palestiniens
arabe arabes arabe
un nom à retenir
grandes voix
de mes déserts sismiques un peuple marche
sur 8.000 kilomètres dresse des tentes
des bases de commandos
combien sommes-nous
oui combien messieurs les statisticiens des douleurs
avancez un chiffre
et les masses prophétiques rétorquent
en équations infaillibles
aujourd'hui
NOUS
SOMMES
TOUS
DES
REFUGIES
PALESTINIENS
demain
c'est nous qui créerons
DEUX... TROIS... QUINZE PALESTINE
.
.
.
.
ABDELLATIF LAÂBI
1969
.
.
.
.