ALBERT JACQUARD
« Moi, Albert Jacquard, ministre de l’Education, je décrète :
L’Éducation nationale ne doit pas préparer les jeunes dont l’économie ou la société ont besoin. La finalité de l’éducation est de provoquer une métamorphose chez un être pour qu’il sorte de lui-même, surmonte sa peur de l’étranger, et rencontre le monde où il vit à travers le savoir.
Moi, ministre de l’Éducation nationale, je n’ai qu’une obsession : que tous
ceux qui me sont confiés apprennent à regarder les autres et leur
environnement, à écouter, discuter, échanger, s’exprimer, s’émerveiller.
À la société de s’arranger avec ceux qui sortent de l’école, aux
entreprises d’organiser les évaluations et la formation de leur personnel à
l’entrée des fonctions.
Il faut que les rôles cessent d’être inversés : l’éducation nationale
ne produira plus de chair à profit.
Article premier Il faut supprimer tout esprit de compétition à l’école. Le
moteur de notre société occidentale est la compétition, et c’est un moteur
suicidaire.
Il ne faut plus apprendre pour et à être le premier.
Article deuxième L’évaluation notée est abandonnée. Apprécier une copie,
ou pire encore, une intelligence avec un nombre, c’est unidimentionnaliser les
capacités des élèves.
Elle sera remplacée par l’émulation. Ce principe, plus sain, permettra
la comparaison pour progresser, et non pour dépasser les camarades de classe.
Mettre des mots à la place des notes sera plus approprié.
Article troisième Les examens restent dans leur principe, sachant que
seuls les examens ratés par l’élève sont valables. Ils sont utiles aux
professeurs pour évaluer la compréhension des élèves. Mais les diplômes ou les
concours comme le baccalauréat sont une perte de temps et sont abolis.
Sur tous les frontons des lycées figurera l’inscription : " Que
personne ne rentre ici s’il veut préparer des examens. "
Article quatrième Les grandes écoles (Polytechnique, l’ENA...) sont
remises en question dans leur mode de recrutement. La sélection, corollaire
nécessaire de la concurrence, et qui régissait l’entrée dans ces
établissements, ne produisait que des personnalités conformistes, incapables de
créativité et d’imagination.Pour entrer à l’ENA, des jeunes de vingt-cinq ans
devaient plaire à des vieux de cinquante ans. Ce n’était pas bon signe.
Article cinquième : Les enseignants n’ont plus le droit de se renseigner
sur l’âge de leurs élèves. Les dates de naissances doivent être rayées de tous
les documents scolaires, sauf pour le médecin de l’école.
Il n’est plus question de dire qu’un enfant est en retard ou en avance,
car c’est un instrument de sélection. Chacun doit avancer sur le chemin du
savoir à son rythme, et sans culpabilisation ou fierté par rapport aux
camarades de classe.
Par contre, un professeur a le devoir de demander à l’élève ce qu’il
sait faire pour adapter son enseignement, éventuellement programmer un
redoublement.
Le redoublement est d’une réelle utilité s’il n’a pas de connotation de
jugement.
Article sixième : Chaque professeur sera assisté d’un professeur de
philosophie. Il faut en effet doubler l’accumulation des connaissances d’une
approche par les concepts. Il faut en particulier passer par l’histoire des
sciences, resituer les connaissances par rapport aux erreurs historiques
d’interprétation des savoirs. Il faut que les élèves aient conscience des
enjeux politiques qui se cachent derrière le progrès scientifique. On pourra
rester quelques semaines sur un même concept, plutôt que de saupoudrer du
savoir dans chaque cours.
Article septième : Le travail des professeurs par disciplines est annulé
au profit du travail en équipe. La progression du travail des classes ne doit
pas être perturbée par des impératifs de programme.
Article huitième : Chaque personne disposera dans sa vie, vers la fin de
la trentaine, de quatre années sabbatiques afin de faire le point, se
réorienter, apprendre d’autres choses. Chacun a le droit de vouloir changer de
métier ou de vocation, parce qu’il n’est pas évident de se déterminer
définitivement à dix-huit ans.
Article neuvième Le ministère de l’Économie ne dictera plus ses besoins au ministère de l’Éducation. Dorénavant, le ministre de l’Économie donnera tous les moyens nécessaires à l’Éducation nationale pour réussir sa vocation."
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ALBERT JACQUARD
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Auguste Renoir