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EMMILA GITANA
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4 octobre 2009

DIS-MOI MA VIE ...Extrait

Dis-moi, ma vie, t'aurais-je traversée en songe comme un nuage
survolé de haut, toujours trop pressé pour te voir
Ou bien toi-même aurais-tu dérivé comme ces îles imaginaires
Ces Orénoques arrachées avec leurs arbres pleins d'oiseaux ?

Nous sommes-nous jamais rencontrés ? Dis-moi, ma vie
t'ai-je rêvée de temps en temps, t'ai-je tenue dans mes mains d'homme
à travers les saisons qui nous regardaient passer, toi et moi
T'ai-je blessée, éparpillée, ma propre poussière impalpable
Image au creux d'un miroir, in atteignable, s'effaçant ?

Où en serons-nous, toi et moi dans nos rencontres de mémoires
Sous nos griffures dérisoires qui nous ont mangé notre temps
Sous nos paroles chuchotées au creux d'une coupe qu'un rien renverse
Où tout se boit, où tout se voit, note univers fut entrevu.

Était-ce une erreur monumentale ? Nous avions pourtant
de beaux coffres où brillaient nos noms. Ils furent remplis d'à peu près
D'insaisissable poursuivi, de feux lointains dans des villages
D'éventaires sur des presqu'îles...N'oubliant rien, oubliant tout.

Nous avons pris les bacs des fjords, franchi des Rhônes, chanté la vie
Mais toi, MA vie ? Mon émigrée loin, côte à côte
Que diras-tu quand, de ma main, le dernier vin se répandra
- Seghers s'en est allé vivre avec sa fumée ?

...
Dis-moi, ma vie, t'étais-tu habillée d'oubli une fois pour toute
La griffe de ton tailleur était-elle ton passeport pour ton destin
Sentais-tu contre toi le doigt de Dieu
parce qu'un petit coupeur des Flandres
Juif émigré, s'était servi de ses ciseaux ?

Je sais, nous échangions des paroles obscures
qui venaient d'autres expériences, nous auscultions un au-delà
toujours plus proche qu'il fallait à tâtons connaître
Toi me tendant la main, moi ne te voyant pas.
Il n'y avait ni meilleur ni pire entre nos distances et nos gestes
Mais nous. J'imaginais mes yeux vivants
dans celui qui me précédait, ne révélant mal que moi-même
dans ses laboratoires.

Tu bifurquais de mon chemin de temps en temps déjà.
T m'engageais dans l'aventure.
Sur tes sentiers rien ne pesait, ton lait sauvage avait bon goût.
" Je ne t'oublierai jamais... " Paroles banales des rengaines
dans le théâtre d'une vie, quand le décor est plus profond
Est-ce vous qui  revenez marteler les murs des ruelles
où je te cherche, où je t'entends.
Il n'est ni passé ni présent dans les plombs des vitraux,
quand les tavernes de la vieille ville rutilent de leurs vins secrets.
Ce petit homme, où donc est-il ?
Maîtres des rats qui nous taillait de longs manteaux ?

...
Celui qui ne s'accepte pas et voudrait sortir de lui-même
vit dans le grès et dans l'obscur, à l'intérieur d'un cube étroit
sans portes, sans issues.
Il a le silence pour graine et pour ensemencer sa nuit,
un geste entravé qui flamboie.

Celui qui tourne dans sa cage, et sa cage autour de lui
tourne la tête en haut, la tête en bas, le ciel a t-il ses polypiers
Au fond des mers, les courants vont-ils par rafales
sur des déserts de coquillages, des constellations de coraux ?

Celui qui s'arrête un instant, comme l'axe d'un gyroscope
s'incline et tombe.
Il vivait du seul mouvement
Ébahi lui-même, objet de l'instable, inutile
Le jeu du monde l'animait.
On l'avait lancé, depuis quand ?

Ce n'est pas facile d'être homme, entre des parois verticales
qui montent indéfiniment et se renversent tout à coup
Ce n'est pas facile de vivre, grain de limaille parmi les autres
De quel métal, tôt dispersé, poussière des flux et des vents.

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PIERRE  SEGHERS

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