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EMMILA GITANA
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27 novembre 2009

LES ÎLES....Extrait

Le monde des animaux est fait de silences et de bonds. J'aime les voir couchés, alors qu'ils reprennent contact avec la Nature, recevant en échange de leur abandon une sève qui les nourrit. Leur repos est appliqué autant que notre travail. Leur sommeil est confiant autant que notre premier amour.Cette ancienne alliance d'Antée avec la Terre, ce sont eux qui la renouvellent avec le plus de gravité. Dans l'hôtel où j'habite, je ne me réveille jamais la nuit, mais si je me réveille comme cette nuit 15 novembre, 3 heures, j'entends tousser, parler, etc. Quand mon chat dort, tout en lui respecte son sommeil. Il cherche  longuement la meilleure place, se pelotonne et s'endort à moitié presque aussitôt. Puis, il dort plus profondément. On dirait qu'il calcule...Le voici qui passe à des rêves heureux: grimpé dans un arbre, il guette un oiseau qu’il voudrait tenir de près. Ce qui est agréable dans cet oiseau, ce n’est pas qu’il soit de couleurs vives, mais c’est qu’il est gros et lourd. Mouloud aime les oiseaux… Comme on comprend qu’il veuille posséder l’objet de son amour ! Mais, plus Mouloud approche, plus l’oiseau recule. Mouloud essaie de le fasciner, peine perdue. A la fin, l’oiseau s’envole, le chat se réveille à demi en gémissant et s’étire. Un nouveau sommeil commence, plus léger, plus agréable, pareil à celui qu’ont les femmes dans les grandes villes entre 9 et 11 heures du matin. C’est à ce moment que les chats aiment à être caressés doucement. Il faut passer la main derrière l’oreille pour qu’ils rejettent la tête en arrière. Alors, on leur caresse le menton et la poitrine entre les pattes de devant. Les chats qui ont un collier, comme Mouloud, aiment qu’on passe les doigts entre les poils et le collier.

            Un chat digne du nom de chat doit porter un collier. Tout de suite il obtient auprès des chattes un succès extraordinaire, il prend une plus haute idée de lui-même et de la maison à laquelle il appartient. Le voilà anobli pour la vie. Ses enfants auront à leur naissance un air de dignité que n’auront pas les autres petits chats. Ils refuseront le ragoût et n’accepteront que le bifteck. Ils ne fréquenteront que les gens de leur classe et concluront des mariages avantageux. C’est le collier qui rend les chats très humains. Essayez de parler à un chat qui n’ait pas de collier, vous verrez la différence. Le collier n’indique pas une supériorité de race puisque tant d’Angoras, de Persans et de Siamois n’en portent pas. Tout est donné ouvertement par faveur, rien ne dépend que du caprice individuel. Telle qu’elle existe actuellement, l’institution du collier est comme beaucoup d’autres : l’intelligence n’y a aucune part.

             Quand il est réveillé, Mouloud descend du lit où il était couché et saute à la fenêtre. Alors il s’accroupit dans l’embrasure. Sinon, il gagne les toits, s’allonge sur une terrasse, descend dans le jardin grâce aux branches d’un laurier qui avoisine le mur. Quand les branches viennent d’être coupées, il est obligé de remonter par les toits jusqu’à une chambre et de descendre par l’escalier.

            Dans son enfance il n’avait aucune peur. Il marchait le long des gouttières, sans vertige, et grimpait jusqu’au plus haut de l’abricotier, lorsqu’il y avait des gens dans le jardin, pour se faire admirer. Maintenant, il ne fallait plus que des efforts utiles, connaissant le prix des choses ; il a moins le goût du jeu, et plus celui du confort. Ses affections sont plus sûres. Le matin il se roule aux pieds de ma mère, en signe de reconnaissance et d’amour, jusqu’à ce que ma mère pose le pied sur lui. Satisfait de ce rite féodal, il va dans la cuisine boire son lait et goûter le repas froid qu’on lui a préparé la veille.

            L’après-midi, étendu sur un lit, il ronronne les pattes en avant. Il est venu tôt ce matin et il va rester toute la journée parce qu’il a mené hier la grande vie. Le voici plus affectueux que de coutume : il est fatigué. – Je l’aime : il abolit cette distance qui, à chaque réveil, renaît entre le monde et moi.

Au crépuscule , à cette heure d'angoisse où le jour use ses dernières forces, j'appelais le chat auprès de moi pour apaiser mon inquiétude. A qui l'aurais-je confiée ? " Rassure-moi, lui disais-je, la nuit approche et avec elle se lèvent mes spectres familiers: j'ai peur. Trois fois: quand le jour tombe, quand je m'endors et quand je m'éveille. Trois fois ce que je croyais acquis m'abandonne...J'ai peur de ces moments qui ouvrent une porte sur le vide - quand la nuit montante cherche à t'étouffer, quand le sommeil t'engloutit, quand au milieu de la nuit tu fais le compte de ce que tu es, quand tu penses à ce qui n'est pas - le jour t'abuse, mais la nuit n'a pas de décor."

Mouloud se taisait obstinément. Je m'appuyais sur lui du regard et sa présence me redonnait confiance ( une présence qui contenait tout ).

Pensons aux moments bénis en regardant Mouloud. L'autre soir, passant sous des peupliers, j'ai vu leurs hautes branches se confondre. Tel midi, devant une plaine éblouie de soleil, j'ai vu et j'ai accepté; devant des ruines éclairées par la lune, j'ai cru que l'homme pouvait hériter de l'homme et que ce don fragile suffisait. Ce matin en ouvrant la porte une chaleur m'a saisi. - C'est tout.

Tu ne dis rien, mais je crois t'entendre: " Je suis cette fleur, ce ciel et cette chaise. J'étais ces ruines, ce vent, cette chaleur. Ne me reconnais-tu pas sous mes déguisements ? Tu me crois un chat parce que tu te crois un homme."

"Comme le sel dans l'Océan, comme le cri dans l'espace, comme l'unité dans l'amour, je suis répandu dans toutes mes apparences. Si tu le veux elles rentreront en moi comme les oiseaux fatigués rentrent le soir au nid. Détourne la tête, nie l'instant. Pense sans donner d'objet à ta pensée. Abandonne-toi comme fait le jeune chat pour que sa mère puisse le saisir dans sa gueule et le porter dans un endroit où personne ne le trouvera."

Mouloud est heureux. Prenant part au combat que se livre éternellement le monde avec lui-même, il ne perce pas l'illusion qui le fait agir. Il joue et ne songe pas à se regarder jouer. C'est moi qui le regarde, et je suis enchanté de lui voir remplir son rôle avec  une précision de mouvements qui ne laisse place à aucun vide. A tout instant il est tout entier à son action. S'il désire manger, ses yeux ne quittent pas les plats qui sortent de la cuisine et trahissent une si violente envie qu'on l'imaginerait transporté dans la nourriture même. Et s'il se pelotonne sur les genoux, c'est avec l'application de toute sa tendresse. En vain, je cherche un hiatus. Ses actes coïncident  avec ses mouvements, ses mouvements avec ses appétits, ses appétits avec ses images. C'est une chaîne sans fin. Si le chat allonge sa patte à moitié, c'est qu'il est nécessaire qu'il l'allonge et qu'il l'allonge seulement à moitié. Le contour le plus harmonieux des vases grecs n'a pas cette nécessité.

Cette plénitude, quand je fais un retour sur moi, m'attriste. Je me sens homme, je veux dire un être mutilé. Je sais que je trébucherai avant la fin de la comédie et qu'à une question que me posera mon partenaire, j'oublierai ma réplique et resterai sans parole. Absences. Me voilà ravi à ces êtres que je disais aimer, et à moi-même dont je ne pouvais me détacher. Une nécessité qui me confond m'emporte loin de ma condition. Les hommes n'aiment pas qu'on leur échappe: c'est qu'ils n'aiment pas s'échapper à eux-mêmes. Ils sont aussi contents d'être hommes que Mouloud d'être chat. Mais Mouloud a raison et eux ont tort. Car lui, fait ce qu'il a à faire et leur position, à eux est intenable....

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JEAN  GRENIER

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