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EMMILA GITANA
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18 décembre 2009

JACQUES ROUMAIN

.

 .

 Eh bien voilà ;
nous autres
les nègres
les niggers
les sales nègres
nous n'acceptons plus
c'est simple
fini
d'être en Afrique
en Amérique
vos nègres
vos niggers
vos sales nègres
nous n'acceptons plus
ça vous étonne
de dire : oui missié
en cirant vos bottes
oui mon pé
aux missionnaires blancs
ou maître
en récoltant pour vous
la canne à sucre
le café
le coton
l'arachide
en Afrique
en Amérique
en bons nègres
en pauvres nègres
que nous étions
que nous ne serons plus
Fini vous verrez bien
nos yes Sir
oui blanc
si Senor
et
garde à vous, tirailleur
oui, mon commandant,
quand on nous donnera l'ordre
de mitrailler nos frère Arabes
en Syrie
en Tunisie
au Maroc
et nos camarades blancs grévistes
crevant de faim
opprimés
spoliés
méprisés comme nous
les nègres
les niggers
les sales nègres
Surprise
quand l'orchestre dans vos boites
à rumba et blues
vous jouera tout autre chose
que n'attendait la putainerie blasée
de vos gigolos et salopes endiamantées
pour qui un nègre
n'est qu'un instrument
à chanter, n'est-ce pas,
à danser, of course
à forniquer natürlich
rien qu'une denrée
à acheter à vendre
sur le marché du plaisir
rien qu'un nègre
un nigger
un sale nègre
Surprise
jésusmariejoseph
surprise
quand nous attraperons
en riant effroyablement
le missionnaire par la barbe
pour lui apprendre à notre tour
à coups de pieds au cul
que nos ancêtres
ne sont pas des Gaulois
que nous nous foutons
d'un Dieu qui
s'il est le Père
eh bien alors c'est que nous autres
les nègres
les niggers
les sales nègres
font croire que nous sommes pas que ses bâtards
et inutile de gueuler
jésusmariejoseph
comme une vieille outre de mensonges débondée
il faut bien
que nous t'apprenions
ce qu'il coûte en définitive
de nous prêcher à coups de chicote (fouet à lanières nouées) et confiteors
l'humilité
la résignation
à notre sort maudit
de nègres
de niggers
de sales nègres
Les machines à écrire mâcheront les ordres de répression
en claquant des dents
fusillez
pendez
égorgez
ces nègres
ces niggers
ces sales nègres
Englués comme des mouches à viande affolées
dans la toile d'araignée des graphiques de
cours de bourse effondrés
les gros actionnaires des compagnies minières et forestières
les propriétaires de rhumeries et de plantations
les propriétaires
de nègres
de niggers
de sales nègres
et la TSF délirera

au nom de la civilisation
au nom de la religion
au nom de la latinité
au nom de Dieu
au nom de la Trinité
au nom de Dieu nom de Dieu
des troupes
des avions
des tanks
des gaz
contres ces nègres
ces niggers
ces sales nègres
Trop tard
jusqu'au coeur des jungles infernales
retentira précipité le terrible bégaiement
télégraphique des tams-tams répétant infatigables
répétant
que les nègres
n'acceptent plus
n'acceptent plus
d'être vos niggers
vos sales nègres
trop tard
car nous aurons surgi

Des cavernes de voleurs des mines d'or du Congo
et du Sud-Afrique
trop tard il sera trop tard
pour empêcher dans les cotonneries de Louisiane
dans les Centrales sucrières des Antilles
la récolte de vengeance

des nègres
des niggers
des sales nègres
il sera trop tard je vous dis
car jusqu'aux tams-tams auront appris le langage

de l'internationale
car nous aurons choisi notre jour
le jour des sales nègres
des sales indiens
des sales hindous
des sales indo-chinois
des sales arabes
des sales malais
(***)
des sales prolétaires
Et nous voici debout
Tous les damnés de la terre
tous les justiciers
marchant à l'assaut de vos casernes
et vos banques
comme une forêt de torches funèbres
pour en finir
une
fois
pour
toutes
avec ce monde
de nègres
de niggers
de sales nègres.

.

JACQUES  ROUMAIN

.

Jacques_roumain_2

.

« Il était magnanime. Il était incommensurable, les pieds dans la poussière, la tête dans l'infini. C'était un prince de bonté, un messager lumineux dont le glaive fleuri était humide encore de la rosée des champs. » (Anthony Lespès, 1993)

« (…) un physique avantageux, un port élégant, un beau visage allongé au teint café au lait, un front ample et un tempérament nerveux abritant un esprit aux dons variés… » Mais qui était Jacques Roumain, ici brièvement décrit en 1965 par R. Piquion ? Un Haïtien, comme Davertige ou Magloire-Saint-Aude, né à Port-au-Prince en 1907 dans ce qui était à l'époque le meilleur de l'aristocratie de son île et dont l'un des ancêtres combattit en 1779 pour l'indépendance de l'Amérique. Un Haïtien aussi et surtout qui connaîtra une vie fulgurante et qui rêva d'un destin différent pour son île.

A l'école donc, chez les Frères d'un prestigieux collège, il apparaîtra comme un enfant batailleur et téméraire aimant discuter avec ses professeurs, qui se retrouvera ensuite en Suisse, à Berne puis à l'école polytechnique de Zurich où il deviendra champion de boxe et courra le 100m en 11 secondes… Mais la Suisse n'était pas son idéal, coupable de n'être à ses yeux qu'un repère pour « touristes confortables ». « La seule chose que je fasse avec passion est la lecture de Schopenhauer, Nietzsche, Darwin et les vers de Heine et de Lenau ». Mais c'était l'essentiel. Jacques Roumain quittera la Suisse en 1926 et se rendra en Espagne afin d'entreprendre des études d'agronomie qu'il abandonnera très vite pour suivre des cours de tauromachie. Son premier poème en prose Corrida, daté Madrid, mai 1926, sera publié l'année suivante dans la Revue indigène. A vingt ans, Jacques Roumain rentrera à Haïti : « il se reconnaissait enfin, (…) écoutant fondre en lui la glace amassée en Europe, et disparaître de son cœur ce qu'il nommait avec amertume «le grand silence blanc» (…) Maintenant, il était parmi ses frères et son peuple. » Nous étions donc en 1927 et Jacques Roumain publie ses premiers poèmes dans les revues La Trouée et la Revue indigène dont il sera d'ailleurs l'un des fondateurs. Jusqu'en septembre 1929, il écrira vingt-deux poèmes et P. Laraque dira que ce « qui caractérise les poèmes de jeunesse, c'est pour la forme, un certain modernisme et une maîtrise déjà remarquable du vers libre, et pour le fond, l'individualisme et le pessimisme ». Roumain fondera aussi une publication, Le Petit impartial , qui allait s'employer à attaquer le gouvernement accusé de « collaborer » avec l'occupant américain venu s'installer en 1915 et qui ne partira qu'en 1934. Manie fâcheuse dont tout le monde bénéficie encore… Ses prises de position politiques ne seront pas du goût du gouvernement, et en cette année 28 il tâtera pour la première fois de la prison. Son procès s'ouvrit l'année suivante, le 1 er avril, mais la salle fut plongée dans un tumulte « si formidable qu'on dut renvoyer tout simplement le jugement à une date ultérieure ». Ce fut le 21 avril et à la suspension de l'audience, Roumain croyant qu'un des membres des forces de l'ordre s'était permis de bousculer sa sœur, se précipita vers elle pour la protéger, recevant alors un coup à la tête… Le sang coula et « des cris partirent de toutes parts et se répercutèrent dans la rue (…) Ce fut une scène indescriptible de douleur, de tristesse et d'indignation », pour reprendre les mots du Nouvelliste. Roumain sera condamné à un an de prison, ramené à six mois en appel et aurait dû être libéré, sa peine ayant été exécutée en préventive, il passera cependant deux jours au cachot disciplinaire pour avoir protesté, et ne sera finalement libre qu'au mois d'août. Il écrira des chroniques dans la presse et se verra à nouveau arrêté deux mois après pour avoir lancé « un appel séditieux ». Il retrouvera l'air libre à la fin de l'année suite à l'amnistie de tous les prisonniers politiques… En 1930, le président de la République renversé, Jacques Roumain entrera au Ministère de l'intérieur quelques mois. En août, paraîtra La Prose et l'ombre , description de la misère de la jeunesse haïtienne « meurtrie et retenue dans son évolution par une imbécillité bourgeoise alliée à des préjugés stupides » pour reprendre les mots de P. Laraque. Roumain y exhibera aussi les bassesses et la laideur de son milieu.

1931, parution coup sur coup de deux autres de ses livres Les fantoches , œuvre dans laquelle il « a campé, avec le sourire désabusé du philosophe, tous ces hommes ballons, véritables fantoches, esprits mutinés qui s'acharnent à se concevoir autres qu'ils ne sont dans une société inexistante » comme le disait François Duvalier et La montagne ensorcelée où, en véritable psychologie, il pénètre le ressort caché des actions les plus secrètes…

Membre du Ministère de l'intérieur pour la seconde fois il n'en est pas moins convoqué par le Procureur de la République qui enquêtait sur ses possibles activités subversives et sera écroué au pénitencier national en 1933 « Je suis communiste. Aucune puissance au monde ne peut m'enlever ce droit. » allait-il déclarer.

L'année suivante, marque la fondation du Parti communiste haïtien. Roumain publie son essai politique Analyse schématique déclarant « La couleur n'est rien, la classe est tout », et appelant au soulèvement des masses et à la lutte sous la bannière du Parti communiste. Pour le pouvoir en place, c'en était trop, et Roumain sera de nouveau dans les geôles du gouvernement à partir de décembre 1934 pour n'en sortir, cette fois qu'en juin 1936, fragilisé et miné par le paludisme.

 

Il quittera Haïti pour Bruxelles le 15 août : « A ma libération, j'ai été placé sous la plus stricte surveillance de la police (…) réduit à l'impuissance (…) C'est ainsi que je me suis vu forcé de m'exiler momentanément d'Haïti. » Lisez qu'il venait de se faire expulser après avoir passé en tout trente-deux mois dans les prisons de son pays. Roumain séjournera un an à Bruxelles avec sa famille « nous y vivons, nous essayons d'y être heureux », pour rejoindre Paris où il participera au Congrès des écrivains pour la défense de la culture. A Paris, Jacques Roumain s'inscrit à l'Institut d'ethnologie et aura pour maîtres Marcel Mauss, l'abbé Breuil et Paul Rivet dont il sera l'assistant au Musée de l'Homme. Roumain donnera aussi des articles dans les revues de gauche et « La tragédie haïtienne », parue dans Regards où il accusait le dictateur dominicain de l'époque de complicité de génocide avec les autorités haïtiennes, l'enverra devant la 12e Chambre correctionnelle qui le condamnera à quinze jours de prison avec sursis et 300 francs d'amende… L'honneur d'un dictateur était en jeu et la France se devait de le laver de tout soupçon…

« Quant au chef d'état outragé, c'est un nommé Leonidas Trujillo, dictateur de Saint-Dominique, ce pays où, en octobre 1937, on massacra des centaines de chômeurs venus d'Haïti » ( Le Canard enchaîné du 21 décembre 1938)…

En 1939, Roumain envoie sa famille en Haïti et prendra à Rouen un petit cargo bananier pour rejoindre la Guadeloupe et la Martinique dans l'attente d'un visa pour les Etats-Unis. On le retrouvera ensuite à New York où il connaîtra une vie difficile, donnant des leçons de français mal payées : « Je préfère cette dure existence au partage d'un ignoble bonheur fait de la souffrance des autres. » Ce n'est qu'en 1941 qu'il retournera enfin en Haïti après un exil de presque six années ayant sans doute fait la promesse de s'abstenir de toute activité politique car en effet, Roumain se consacrera dorénavant aux travaux scientifiques. Il rencontrera Alfred Métraux qui écrira : « je n'ai connu que très peu de collègues capables d'apporter à leurs recherches une passion aussi jeune et aussi forte » et deviendra directeur de l'Institut d'Ethnologie, enseignant l'archéologie précolombienne et l'anthropologie préhistorique.

En 1942, Jacques Roumain se rappellera au bon souvenir des autorités religieuses, publiant son opuscule A propos de la campagne Anti-superstitieuse , qui lancèrent contre lui cette diatribe : « (…) on voulut salir l'Eglise, le Clergé d'Haïti (…) Cette attaque partit d'un ennemi acharné de l'Eglise et du Christ Jésus, d'un homme professant ouvertement un communisme athée (…). »
Jacques Roumain sera quelques mois plus tard nommé Chargé d'affaires d'Haïti à Mexico, exile doré offert par un gouvernement soupçonneux et il commence l'écriture de Gouverneurs de la rosée .

Sa santé à cette époque, commencera à montrer des signes de défaillance. En août 1943, un journal annonce « nous avons eu le grand plaisir de recevoir en nos bureaux la visite de M. Jacques Roumain… complètement remis de la grave maladie qui avait mis ses jours en danger… » L'année suivante, il termine à Mexico Gouverneurs de la rosée … Le samedi 18 août 1944, Jacques Roumain meurt, par empoisonnement selon certains, paludisme selon d'autres ou encore d'une cirrhose du foie selon son médecin.

Gouverneurs de la rosée paraîtra en décembre, « chef d'œuvre par la beauté de sa langue, par l'habileté de son métier, par ce sens merveilleux du tragique simple… » S. Alexis. Louis Aragon enthousiaste lui aussi, fait publier le livre en France dans la collection « Bibliothèque française ».

Dans ce roman, Manuel revient sur son île après un exil de quinze ans à Cuba comme coupeur de canne à sucre et son séjour lui a ouvert les yeux : « ce n'est pas Dieu qui abandonne le nègre, c'est le nègre qui abandonne la terre et il reçoit sa punition : la sécheresse, la misère et la désolation ». Alors Manuel cherchera l'eau, celle dont Haïti a besoin pour que s'en aille avec elle la misère et la sécheresse. L'engagement politique n'avait jamais quitté Roumain, qui rêvait d'un autre destin pour son île, et son ouvrage nous séduit par ses élans poétiques et l'amour de Roumain pour sa patrie.

Dany Laferrière a ces mots très justes : « Chaque pays a son Roumain, c'est-à-dire un écrivain qui résume en quelque sorte les rêves, les élans et les échecs de sa société. Ce n'est pas forcément le meilleur mais c'est celui en qui tout le monde se reconnaît (…). C'est quelqu'un qui n'hésite pas à asséner ses quatre vérités à ses compatriotes. » Roumain en mourut.

 

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