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EMMILA GITANA
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22 janvier 2010

ICARE CRASH

On peut toujours soulever la peau du monde pour savoir ce qu’il y a dessous, secouer très fort les séquoias, donner des coups de pied dans les montagnes, pisser dans l’océan les soirs de peine, tirer au flingue dans les étoiles et même hurler dans les tunnels. On peut se dire que ça servira bien à quelque chose et que ça vaut toujours mieux que de ne rien tenter, mais c’est inutile. Les choses n’arrivent pas comme ça. Provoquer n’est pas réaliser, mais menacer, dans le vide. Pour rien, souvent. Et c’est de l’échec d’ici que vient l’envie d’ailleurs.

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Pour aller voir ailleurs il faut déjà y aller. Puis, après, seulement, on voit. L’immobilité ne mène nulle part, on en est sûr. Le reste doit être vérifié. Les yeux, la vie, servent à ça. Ailleurs c’est toujours plus beau, c’est comme l’Eldorado. Mais c’est aussi toujours trop haut, trop loin. On ne sait même pas si c’est sur la carte, et la carte on l’a perdue de toute façon.

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Un jour, pourtant, elle était là, dans nos mains, sous nos yeux. Vous êtes ici, disait-elle en rouge au milieu du cercle, danger. Et là, c’est l’endroit que vous cherchez. En vert, la couleur de l’espoir. A vol d’oiseau ce n’était pas si loin, ça paraissait possible. Quelques provisions à prévoir, un ou deux trucs à savoir et ne pas oublier, et la cause était déjà entendue. Ne restait plus qu’à fixer la date du départ. Mais les calendriers sont toujours des sources de problèmes. A se demander pourquoi nos emplois du temps ne sont jamais compatibles avec nos rêves. On a reporté une première fois, se disant que c’était aussi la dernière, parce qu’on était déterminé. Puis une seconde parce qu’on ne pouvait vraiment pas faire autrement à cause des contingences. Puis une troisième, au goût étrange, celui de la lâcheté. Rien vraiment ne nous empêchait de partir cette fois-là, sauf cette trouille venue en douce s’immiscer là où on ne l’attendait pas et qu’on n’a pas su surmonter, en évitant de se demander pourquoi. Et la quatrième qui vient de nous bouffer jusqu’à l’os. On avait fini par oser, pourtant. On avait pris son courage à deux mains. De tout son corps, même. De toute sa tête dans les étoiles. Grimper sur la falaise et sauter dans le vide. Après, on ne se souvient pas bien de ce qui s’est passé mais ça s’est passé. Très vite. Le crash. C’est à ce moment qu’on se réveille. Les pieds sur terre, à nouveau. Et de la terre plein dans la bouche. Démembré, dispersé par le choc. Sonné. On ne s’était pas rendu compte qu’on volait, c’était l’ivresse, on croyait qu’on avait toujours marché comme ça, dans les nuages. C'était naturel et si simple. Mais là tout de suite on a la gueule fracassée.

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La machine à rêver n’a pas tenu. Sa structure était mal pensée, une invention à trois sous. Se faire la belle demande de la réflexion, du temps. Pour l’évasion, la vraie, celle pour un autre monde, on n’avait pas l’envergure. On le savait bien mais on voulait se donner au rêve, tout entier, tout de suite, sans calcul. On comptait sur la poésie. Il y avait urgence, il fallait se tirer avant que l’ennui et bientôt la mort nous alignent dans la mire. On ne voulait pas se retourner, le passé c’était le passé, on voulait regarder devant, droit devant et loin vers l’horizon. On voulait respirer, retrouver ce qu’on avait perdu sans savoir exactement quoi, on verrait plus tard, une fois arrivé. Alors on aurait tout le temps, une vie entière pour y penser. On voulait faire ça, on y tenait autant qu’à notre peau. Celle qu’on est en train de perdre, celle qui est en lambeaux. Voler c’est bien quand le temps est dégagé et que le ciel est sans nuages. Par gros temps tout est plus difficile, les nuages sont comme des ronces, la peau ne tient pas le voyage. On ne part pas n’importe quand. Tout se prépare. On l’a oublié parce qu’on rêvait. Parce qu’on était déjà parti, la tête là-bas mais les pieds encore ici, aspirés par la boue. Les nuages, il aurait fallu les écarter d’abord. Faire le tri, ranger les choses une à une, nettoyer la place. Attendre l’embellie propice. On a bien essayé, fait ce qu'il était possible de faire. Mais on était trop pressé d'en finir.

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On a cru voler. Le temps de tomber. Le dos est douloureux, on a mal à tous les morceaux disséminés ça et là dans les rochers. On crame comme un vieux zinc bourré de kérosène. Ca sent le cochon, et la volaille qu’on a passée au feu pour en nettoyer les restes de plumes sur la carcasse. A vol d’oiseau, on disait. Oui mais on n’est pas des oiseaux, même pas des avions. Juste des planeurs, c’est pour ça qu’on rêve. A vol d’oiseau, en ligne droite vers la forêt en fleurs, le paradis. On aurait bien voulu faire comme eux, tout simplifier. A vol d’oiseau, on disait. Maintenant on ne dit plus rien, les mots sont inutiles. C’est le silence qui a gagné, le vide, la terreur sourde. Ca doit être ça mourir. C’est ça, oui. Cette peur qu’on ne sait pas calmer, que le sang charrie dans nos veines de glace. La mémoire brûlée du ciel, de la terre, des hommes, de l'enfance et des histoires. La mémoire du monde. Le plus dur c’est d’être encore un peu en vie devant son propre cadavre. Hébété, on ne sait subitement plus rien sur rien. Ce qu’on savait, ce qu’on était s’est dissous. Ca ne valait pas grand-chose mais on donnerait tout pour le retrouver, pourtant. On voulait se fuir et on en revient à soi, une dernière fois. L'impasse. Le lieu idéal pour la tête contre les murs.

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Un peu de lumière, encore, à l’intérieur. Des restes de flammes vacillantes, plus pour longtemps. Il fait froid, si froid. On n’a rien vu venir. Ca pèse le poids du monde qu’on voulait oublier. On a vieilli d’un coup, d’un siècle. On pleure des grosses larmes, comme un gosse étouffé de sanglots perdu dans le silence d'une infinie solitude. Tout est trop vaste, noir et profond. Le passé, la nuit, l'océan, le sang, la douleur. Le temps n’existe pas, n’existe plus. Il est fini. Les calendriers seront désormais inutiles. Comme les saisons, les printemps, les rendez-vous, tout ce qui faisait nos vies. Tout ce qu’on n’a même plus la force de regretter, qui n’est plus déjà qu’un vague souvenir. Et la vie aussi, simplement la vie. Même si ce n’était pas le bonheur. Celle-là même qui nous quitte. On voudrait demander pardon, sans savoir à qui ni pourquoi. A soi, peut-être, si on en trouvait la force. On a encore un peu les yeux rouges. C’est toujours le dernier signal, les yeux. Des brandons de rêve que la nuit va éteindre. Un dernier arc électrique dans un grésillement de moustique et ce sera fini. Tout le reste n’est déjà que charbon.

Et demain, au pied de la falaise, des promeneurs botteront un petit tas de cendres que le vent dispersera...

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MARTIN  CADEAU

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SOURCE

http://curiosofurioso1.canalblog.com

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matisse 2

Oeuvre  Henri Matisse


Commentaires
N
Oui, c'est bien comme ça que ça se passe, ici aussi. C'est bien de mettre son intérieur à l'extérieur, comme ça, la peau sur les rochers, même avec les bouts de plumes encore chaud. <br /> <br /> Ca n'aide en rien, bien sûr, nous sommes d'accord, et il n'y pas plus de consolation à savoir que nous sommes plusieurs à vivre cela. Comment pourrait-il en être autrement d'ailleurs, nous vivons tous la même chose, le même vol ? Et puis le silence gagne toujours.<br /> <br /> Mais bon, merci tout de même.
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B
Oui merci pour ces beaux poème. Bravo pour ce site.
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EMMILA GITANA
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