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EMMILA GITANA
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13 mars 2010

SILENCE

Larditerra - Medea - A Filetta





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Mes pas flottent sur la neige, enjambent l’eau hiémale et virginale dévalant les combes, les ruisselets qui vont éperdus par la forêt. Je palpe doucement le monde immaculé du silence, la peau grenée de la pierre, des chaos mordorés revêtus de dentelles de glace. Des pas lents qui ont la légèreté d’un regard égrenant une pluie de perles et ces yeux d'eau à la source du temps, de la paix aurorale; un cillement suffit à rattraper la fuite et le retour des saisons, à m‘immiscer dans l‘intimité des jeunes frissons du printemps, des rudesses étreintes du froid au pays de la haute nuit des étoiles.
Les pins chargés du fardeau de l’hiver ploient et dévalent les pentes, fantassins d‘un seul âge bravant les monts et les vents dans un dernier et même combat de foule pour la survie. Ils gardent leur fière allure ondée, ondoyée des bourrasques de la tempête passée donnant à la montagne ce que l'orge et l'avoine promettent à la plaine... D'entre eux, les jeunes pousses, les cimes décharnées sont d'une seule vague de vallée.

 

Et je suis les brisées, l’indicible renouveau, les augures du ciel. Là-haut, sur le haut plateau, l’existence n’est plus, la vie s’est terrée, les murs ont fermé pour des mois leurs paupières de chêne. Entre les rochers et les blocs polis, un coin de ciel encore plus bleu, ceint de nuages noirs, trace l’aura lumineuse de la terre, la limite bouleversante, vertigineuse de la matière, l’immobilité galopante de l’instant, l’inéluctable spectre du passé.
Je confie au manteau de neige le sillage de mes pensées, ces joies et ces peines aussi qui se perdent et me reviennent en chemin ; je n’ai devant moi que l’ombre incertaine de nous appartenir, de nous aimer qui foule sans les blesser l’écume des monts, l‘indubitable devenir, toute espérance.
Je vais par un jour ouaté retrouvant prudemment les invites de l’hiver, au verdict sûr et silencieux du sol glacé, j'avance à travers le dédale des années, l'harmonie susurrée du val et de la transhumance.
L’éphémère y séduit l’éternité, usant du masque irréel, vide et froid de toute illusion. Des émaux de glaces, fards passagers de quelques jours dispersés de frimas, égarés de l'enfance choyée, esquissent outrageusement les traits d’hypothétiques visages, osent le retour improbable ou radieux de destinées enfouies à jamais, l‘apparence fatale des rides de l‘âge au pan dicté d'une époque dont il nous a été donné d'arpenter, de fouiller la beauté et le rêve .
Le silence est d’eau, solennel; sous le céleste linceul, après la nuit obscure et froide, sourdent des milliers d’orgues de glace figées dans leur chute, jusqu’à l’extrême splendeur du jour, l’ineffable pureté de toute transparence et de la lumière, comme un ciel posé sur le sol.
L’eau emprisonnée chantonne, se fait lyre et tinte cristalline aux cordes tendues de la harpe que la brise effleure invisible et sans bruit. Et quand elle jaillit d'une seule foi de la crypte sylvestre, séraphique au-dessus de la vallée, entre le sillon gravé des siècles, un seul voile danse l’hyménée, imperceptible et soyeux, aux  creux de la roche noire et trace la voie  d’une divine félicité, de la seule fidélité…
Quelle messe, quels instants glanés aux rais fuyants du soleil capricieux de mars! L'intense clarté du ciel partage l'ombre des nuages, presque feutrée, elle se promène et offre çà et là à mes pieds des reflets d’astres sacrés.
N’y aurait-il  plus de vie au faîte déchu de tout vestige, de toute forme bâtie consacrant la rupture temporelle du moindre habitat, de tant de souvenirs? Et pourtant, une symphonie de silences clame tout autour de moi la profusion, la prodigalité au cœur d’un lendemain de fruits, de sources et de blés parfumés.
Je sens peser sur moi le vide de l'absence, la longue litanie des pierres disjointes aux vents fous d'une seule montagne dans la mer. Les toits ne fument plus, le hameau des estives n'est plus qu'un cirque muet que les sapins avalent, antre brassée de silences rompus, aux canons lugubres de la tramontane.

Il n’est de certitudes qu’en l’unique intervalle qui nous a été octroyé de visiter. Peuplé des réalités belliqueuses de l’univers, des extrêmes aux frontières de l'insoutenable, il nous revient d'en arpenter dignement les méandres et le cours tumultueux, imprévisible de sa durée, de son temps.

N'est-il plus que silences, oublis à l'arbre de vie tombé sur le sol, ici ou ailleurs, hier ou qui sait, demain, sous d'autres illusions éthérées, de terribles cauchemars?
Et entre la blanche furie meurtrière des sommets et ces cascades de glaces qui forgent l‘aventurier d'une vie en quête des cieux, la joie et la souffrance se seraient côtoyées sur les flots, éternelles, dans le sidéral silence de l’être émerveillé, l'abnégation de toutes les passions que seul le verbe et l'au-delà révèlent inexorablement comme un idéal d'absolu, la plus haute branche de la forêt des hommes .



Cristian-Georges Campagnac

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12_03_20106

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