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EMMILA GITANA
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29 avril 2010

UNE ÂME A LA MER

"... Depuis toujours coïncident

hors du temps

ma naissance et ma mort ..."


Michel CAMUS

"La nuit au soleil"

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Je traverse si vite les mailles du sort ou de l'infortune sans parvenir à m'échapper de l'épervier qui me recouvre et m'entraîne vers le fond. Je tourne en rond, prisonnier du même banc que le flot nourricier vient de perdre . C'est en levant les paupières que j'aperçois le ciel bleu dansant entre les faisceaux lumineux du dieu soleil. Et j'en suis résolument ramené à croire que j'habite un corps, une
carapace, un intervalle qui masquerait un court instant et pour l'éternité l'espace d'un seul regard posé sur une seule et
ultime existence dont il m'est aisé de penser qu'elle fut aussi une belle illusion, la dernière chance de salut; et il n'y aurait alors plus aucun doute quant au grand départ, au débat de l'âme, au jour redouté de l'agonie de cette façade lourde et inerte, brandie devant le miroir vacillant et périssable de l'âge que je ne saurait traîner davantage,
plus loin en conscience, en sursis, en dérisions charnelles dont je m'affranchirais sans regret. C'est parce que le corps est condamné en ses plus insoutenables états qu'il ne peut aussi s'accorder le pouvoir morne et contraire au flux de l'esprit, d'y entraîner de la sorte et avec lui ce qui plane, ce tout évanescent mais infrangible et qui se dissout en dans le ciel désormais absent de toute chose aux yeux du mortel.

Non! quelle déraison, quel absurde réquisitoire au jugement dernier que je récuse...

Je lance un défi à l' enveloppe fanée, aujourd'hui haïssable, dont je sais et j'attends l'inexorable perdition, l'incontournable
retour à la terre à travers ses états d'abjecte inutilité, gardant au fond de mon unicité, de ce bloc de silences féconds, cette lueur indescriptible qui me possède et
m' emmène au-delà d'une marge physique et temporelle qui m'a été doucement et tendrement impartie il y aurait si peu de temps! Et c'est dans le regard, à l'iris de clartés tenaces, que je décrypte l'emprunt d'une âme contracté auprès du hasard et d'un impossible choix tristement et résolument temporel.

Je vois en chaque œillade la parcelle éternelle d'un séjour perpétuel dont elle serait l'un des multiples témoignages,  germant au gré des vents comme les fleurs... Et je connais maintenant le chemin de la beauté, je vais ici-bas côtoyer la re-connaissance, la vérité, au grand échiquier du réel à recomposer avec le souci de l'harmonie, de l'effusion. C'est au départ de toute vacuité que je souhaiterais orner de bontés et de ravissements la glaise d'un autre être et la nouvelle empreinte par lesquels il me serait donné encore une fois de m' accomplir.

Je pousse les battants d'une porte aux chambranles vermoulus. Quelle étrange et troublante impression d'affleurement, d'apaisement aux seuils de la beauté, de l'esthétique, de ce que l'âme aurait enfanté d'arts, de rêves et d'imaginaires. Il me semble reconnaître ce qui fût ou sera, être à nouveau attiré vers un univers prodigue où le temps s'effrite, où la matière renonce à lutter devant le génie créateur et bienfaisant de l'artiste qui dure en moi. Il est et sera encore et toujours la conscience du vivant, eût-il été impersonnel, inconnu au-delà de la mort. Splendeur éternelle tintant aux cloches du sacré et que la durée embellit et enfante sans faille et pour l'éternité.

La mort est bien dérisoire lorsque remontant des siècles antiques nous retrouvons ensemble - je veux dire toutes les expressions, les versions d'un moi recouvré - les souvenirs rupestres, la mélodie et le rythme tribal des anciens, l'épure de la fécondité qui nous émeut inlassablement, la vierge nature où je me ressource, là même où se ruent sauvagement les masses asphyxiées et conquérantes des modernités, l'océan, tout simplement.

Qu'importent les mois, les années dans une vie qui ne cesse d'arborer la victoire du nombre l'assurance de la moyenne comme une masse informe!

Il est des expériences uniques qui ne comptabilisent pas, elles fleurissent, elles se répandent. Il suffit d'évoquer le musicien, le marin solitaire, le  voyageur aux déserts de sable et de glace, le poète ou le sculpteur, l'artisan d'une vie éclairée pour comprendre et embrasser un périple dont l'attachement ne se réduirait certainement pas à la seule quantité des jours juxtaposés, au moratoire artificiellement prolongé et précaire qu'une époque arracherait à la mort pour une obole, un sursis d'outre chair. Il m'importe dès lors de poursuivre dans la voie de la découverte transcendante, du ressouvenir stupéfiant, de rejoindre enfin tous mes passés et futurs retours, emmené à travers l'intarissable don de l'humanité et ses tendres clairvoyances d'université.

Apaisé, je sais maintenant que j'échapperai à mon corps décomposé, brûlé, presque purifié, pour honorer et sanctifier à toujours l'immuable errance et la fertilité éclairée de l'âme, la transfiguration durable de la mort parmi toutes les lumières et les clartés du monde, comme un seul vivant en esprit qui le peuple.

Et pour cette raison, je ne saurais admettre, fut-il contre la loi irréfragable de l'alternance
de la vie et de la mort, contre toute raison, la douleur et la déchéance que la chair ferait subir à la pensée, à la mémoire, au verbe, comme à la sagesse de
l'âge et à tous les sens incertains et prometteurs de l'après!

Oui ! quelle infamante serait cette fin, l'odieuse chute des néants dans la fosse commune des histoires, pour l'être conçu à l'image du tout
puissant, assortie des peines et de la souffrance du partir au royaume des réprouvés, attendant leur tour fatal, frappant sans foi ni loi cette continuité ponctuée de l'intulile floraison à l'aube natale de tout être marqué de son époque et de ses déterminismes.

Macabre et insoutenable chemin de croix baigné de la vieillesse alentie, sentence brutale, inexpliquée d'un injuste censeur assénant les pires
outrages aux innocents comme aux criminels, aux génies de bontés ou endiablés, possédés d'immédiat.

Il n'est plus de doute, la mort n'est qu'un état terrestre passager, palpable pour les vivants démunis, esseulés mais aussi une demeure invisible et éthérée, ailleurs pour ceux qui ne seraient plus depuis la nuit des temps; je la sens au-delà de ce verdict pesant,
pressé, sans appel. C'est un autre voyage, un possible retour, une renaissance dans la continuité de toute chose ici-bas, un
vaisseau prêt à appareiller, à l'escale, pour un long périple vers d'autres mers jalonnées de ces providentielles thébaïdes et qui attendent le retour de leurs pèlerins.

Après tout, qu'est-ce vivre si ce n'est de meubler comme je le peux un compte à rebours commencé dès la naissance! Aurais -je indéfiniment le contrôle des grains s'écoulant au sablier du temps? Et si d'aventure il m' échoyait
de bien le remplir, parvenu au terme mûrit de la raison et du savoir, comment pourrais-je accepter de voir en un éclair, la
fulguration finale ruiner à toujours l'œuvre d'une vie, l'apogée d'une âme se perdre à la dérive de l'obscure poussière.

Serais-je enclin à accepter le dérisoire oubli, une parcelle de gloire entachant l'issue de la fatalité compatissante, d'un parcours, d'une chevauchée dont on m' aurait retiré les rennes ?  Dès lors, pris dans le convoi, le tumulte et le désordre d'un tout forcément inachevé, devrais-je me résoudre à signifier, en mon inéluctable absence de chair, l'abandon et la désespérance comme seuls horizons?

Je préfère admettre que je demeure et serait comme
Un maillon au chaînon du devenir, qui blesserait à manquer, et qui reprendrait toute sa place afin de ne jamais rompre le lien et la force
de l'étant recouvré, de l'alliance, fussé-je à nouveau privé d'antiques souvenances et pourtant porté aux plus étonnantes et imprévisibles destinées par la soif et la curiosité d'exister, de poursuivre en amont, caressant les prémices d'un imaginaire audacieux et au-delà de tout.

Comme un puits d'instants, contre le repli des souffrances et sur les vagues de joies, empli des plus profonds discernements, comblé des
ressources assainies, embarqué sur le voilier des rêves palingénésiques et du génie de l'homme, cette traversée, au zénith de l'être, ne saurait s'achever dans le délaissement et la perte d'un capital exceptionnel par l'étendue de son unicité, de son histoire, d'un univers forgé et parcouru d'amour, d'aspirations personnelles, des plus beaux idéaux.

Si l'outil dont je me sers un moment abdique, capitule, alors, jusqu'au bout et au seuil du grand saut, je souhaite témoigner
avec la plus grande lucidité de ces lumières qui me visitent, de la légèreté d'un état d'où je ne reviendrai certes jamais mais à partir duquel  j'
habiterai, pour l'avoir un peu portée, toute idée, toute nouvelle espérance qui m'affranchissent du passage de la vie à la mort aux modestes dimensions terrestres.

La vie se rend au silence quand les paupières refermées la
renvoient à la vérité des années, d'un siècle, d'une époque révolue; les aurais-je choisis? Me suis-je perdu au milieu d'un siècle
tragédie, quand ici le ventre de la terre s'ouvre et m'engloutit, là-bas la folie des hommes extermine son prochain, une ère
d'ignorance me plonge dans les miasmes d'une épidémie que l'on ne savait encore vaincre, un accident, une vague meurtrière et presque planétaire, une liaison qui sombre au printemps de la vie et c'est un cauchemar qui s'empare du quotidien.

Quel voyage serait assez loyal, viable et qui m'accordât une seule trajectoire dont les éléments étrangers à jamais
décideraient de la nature et de la durée du jour et de la nuit. Je perçois dans le sommeil cette petite mort journalière, cet abandon
paradoxal et intense, où les jeux de la mort et de la vie s'invitent dans un autre monde, celui des dunes ou des vagues, de la clarté, de
l'extrême lucidité, de la prémonition parfois. Et s'il en était de même de notre supplément d'âme véhiculé par un corps que
tout porte à croire qu'il ne sera jamais pérenne ni reproduit à l'identique et inscrit dès lors dans l'ordre immuable de la regénérescence diverse du vivant.

Mais cette espérance, ce désir insensé d'un au-delà, ces mirages ou ces visions mis à l'épreuve des générations ne sauraient être la
contre partie désespérée de la mort qui veille et s'embusque, ni une réponse à de pesantes interrogions mais bien plus la
preuve tangible d'une existence autre, déjà ébauchée, d'un possible, revêtant une multitude d'apparences comme si le temps et
l'humanité venaient à naître pour chacun d'entre-nous d'un espace - temps familier, dépossédé de sens, de passé comme d'avenir.
C'est dit, quelques années suffisent dès la naissance à me projeter, pour une enclave de plus, un horizon inexorablement limité, allégi dans ma perpétuité;

c'est drôle, les saisons passent, elles ne m' appartiennent plus, sombres, fuyantes, tellement chargées que le portefaix épuisable que
j'ai été se retrouve sitôt chenu, marqué de toutes les fatigues, de tous les plis de l'habitude prompts à creuser davantage la
pente, les rides de la terre et de l'adieu.

Mais je ne serai jamais plus attaché au seul effroi de quitter mes sens, marqué désormais par
l'essence d'une existence assouvie de la simple bonté du verbe au creuset inépuisable d'une âme vagabonde, d'éternelle fraîcheur, laissant au rebut ce sentiment d'élation qui semble nous gouverner ou que la nature humaine cultive.

Les mots sont légers, je ne les vois pas, ils me suivent ou me précèdent le plus souvent et jamais ne me délaissent; ils partiront avec moi ricocher contre les parois des plurivers ( on ébauche maintenant l'existence d'autres univers ?!... ) avant de revenir louer une quelconque apparence, me revoir surement vêtu d'une autre enveloppe.

Au "faîte", je ne me contrains ni ne me cerne déjà plus, serais-je déjà en partance qu'une île m'attend impatiente;
qu'importe de vivre ou de mourir une mission, ce départ déjà joué au dés, bien calé entre les deux dates de l'arrivée et une épitaphe, autre épithalame dont la naissance, une union et la mort se partageraient la paternité, la pérennité, l'exclusivité solennelle d'un devenir aveugle et invisible.

Je souhaiterais n'être qu'un
souvenir flottant ou voguant comme une songe de radeau, un albatros planant au dessus des mers pour les raconter et dire
combien elles sont belles et grandes, si bleues quand elles enfantent les âmes libres et immortelles portées sur les rivages de l'amour

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CRISTIAN-GEORGES  CAMPAGNAC

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