Ma langue maternelle, - la sève qui nourrit ma parole, qui abonde dans
les couloirs de mon inconscient, qui retrace les souvenirs de
l'enfance, qui a irrigué mes premiers pas, qui épousera mon dernier
souffle, - est le créole mais ma langue d'écriture est le français.
Je n'écris pas en français car elle est matière que j'observe, que je
guette, matière fugitive qui obéit au désordre, semblable à un animal
féroce qui arpente les arènes du lointain, adepte de jeux cruels et
qui me lance un défi, renouvelé et perpétuel, matière qui fustige les
altérations et refuse le devenir de nos conjugaisons.
Et il me faut donc entamer la traversée vers la langue, traversée sur
un fleuve cerné par le doute et la peur, virgule ivre sur les flots
sombres, alors atteindre la langue, l'accaparer, l'assagir, déchirer
ses apparats, dénuder son histoire, éclairer ses instances primitives
et ses vulgaires naissances, dénouer ses arcanes, la liquéfier, la
ramener à son essence, évider les masques de son pouvoir, épuiser ses
séductions afin de me l'approprier, de l'enfouir en moi afin d'en
faire ma langue, langue mêlée aux couchers de mes fauves et de mes
fièvres.
Mais la langue et ses mots sont ailleurs. Toujours.
Il m'arrive de croire que je sais les soudoyer mais ils me foudroient,
me violentent, alors je les crache au lieu de la fusion et ils se
métissent, - obscènes avant d'être belles - , et maculent la page.
Cet échec de la langue sert une volonté de dépassement.
Puisque la langue est aux confins, puisque la langue ne m'appartient
pas, puisque la langue participe à la translation de ma part
d'indicible, puisqu'elle sert à semer ma trace dans le temps alors
elle réclame à ce que je la détourne et l'explose, à ce que je la
pousse à ses limites, elle sera langue-créole, langue-séga,
langue-tam-tam, langue-islam, langue mystique, langue hybride, langue
bâtarde, elle sera langue à l'entre-deux, langue charpentée par le
ressac des impossibles rencontres, elle sera langue pour dire le
silence, langue du jamais-dire, elle sera langue châtiée de ses
pudeurs, langue-folle, elle sera langue-féconde, éventrée et
dépouillée, constamment réinventée et constamment changée.
Ce sont les impasses de la langue qui rendent ma poésie possible.
Je suis poète à défaut d'une langue.
Le français demeurera langue inconnue, étrange et étrangère mais elle
sera aussi langue nouvelle, langue rêvée, langue de l'inimaginé, ma
langue, mo langaz, langue macérée et mélangée, langue-océan
qui réensemence mes origines et qui embrase mes lendemains.
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UMAR TIMOL
Oeuvre Fyedel Fleurant
Par le simple fait que n'importe qui écrive de la poésie aujourd'hui, autant dire tout le monde, elle ne vaut plus rien. La poésie de nos jours ronronne. Et lorsque la rime pour se démarquer cherche à aboyer, hurler, rugir, elle ne fait que lamentablement braire : la corde poétique a été archi usée depuis un siècle. Ecrire en vers, c'est mal écrire.
Défenseurs des Lettres, au lieu de vous alarmer du déclin de l'intérêt du public pour les ouvrages de rimes, huez plutôt les derniers poètes qui s'ingénient à parasiter la littérature de leurs "admirables inspirations" couchées à travers recueils, feuillets et autres minces supports voués à une glorieuse mais -Dieu merci !- hypothétique postérité ! Compatissez au sort que réservent ces méchants poètes à leur lectorat sombrant dans une fatale léthargie au contact de leurs rêveries nombrilistes... La poésie en vers est bel et bien morte, et c'est tant mieux !
Le naufrage de cette poésie maintenue sous perfusion dans les cercles ultra confidentiels, autarciques et sclérosés n'en est que plus pathétique : chaque jour ressuscitée grâce au mirage de l'auto congratulation entre adeptes, elle perd progressivement en crédibilité.
La poésie, je veux dire la poésie versifiée, ne vaut rien si elle n'est pas baudelairienne.
Personnellement j'ai la décence et le bon goût de ne pas versifier afin de ne pas faire mourir d'ennui mes lecteurs. N'oublions pas que le versificateur se fait surtout plaisir à lui-même. J'ai compris depuis longtemps que la poésie versifiée ne valait rien si elle n'était pas baudelairienne. Ou hugolienne.
Bref, un Dupont qui versifie n'est qu'un tueur de poésie.
Le versificateur à notre époque n'est qu'une plume décidément bien légère cherchant à donner corps à ses jolies niaiseries et fausses profondeurs -qui ne sont que fosses- auprès d'un lectorat aussi minoritaire que complaisant. Je considère la poésie versifiée contemporaine comme de la masturbation littéraire dans sa grande majorité.
La vraie poésie versifiée est avant tout une technique. Elle doit se distinguer des poisseux, pesants, maladroits mouvements du coeur en mettant en avant le caractère aérien d'une technique parfaitement mâitrisée porteuse de messages limpides, essentiels, digestes et non pas remorquer de manière informe les surcharges de l'âme en proie à ses délires "nombrilistiques"...
L'authentique poésie est un dessert léger qui s'apprécie à petites doses (et encore, pas tous les jours !) au lieu de cette habituelle mélasse tantôt insipide, tantôt écoeurante.
En un mot, Verlaine ou rien !
C'est cela avoir le sens de la littérature et de la poésie : savoir se taire pour laisser les maîtres perdurer. Ce que je fais précisément en ne versifiant JAMAIS. D'autres l'ont fait avant moi bien mieux que je ne saurais le faire, alors pourquoi s'ingénier à faire moins bien ?
Raphaël Zacharie de IZARRA