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EMMILA GITANA
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27 août 2010

SOUVENIRS DESORDONNES...Extrait

Je crois que l'amitié que j'ai vouée à Char dès son arrivée à Paris s'explique d'abord parce qu'il était L'Islois. Nous étions presque du même village, presque voisins ; nos souvenirs d'enfance avaient la même couleur, la même sonorité et il était attaché à son clocher autant que moi au mien. Nous avions vécu la même jeunesse ; connu à coup sûr les mêmes jeux d'enfant, les mêmes patientes chasses aux papillons et aux lézards. Il avait dû, comme moi, façonner par la torsion de l'extrémité d'un long stipe d'herbe folle ce nœud coulant qu'un voile de salive tendu sur son ellipse allongée fait pareil à un miroir de dentiste – instrument de capture hasardeux – qu'il fallait tenir dans une immobilité absolue devant le nez du lézard gris des pierrailles. Qu'on se rassure : la capture était rare, elle n'était jamais que le triomphe de la patience et la proie affolée – mais qui avait pris leçon de prudence – était rendue à la nature. Char avait si bien la nostalgie de ces exploits qu'en 1927, il lui arrivait parfois de quitter le prisonnier de la rue de Clichy que j'étais pour sauter dans un taxi et de se faire conduire à Saint-Cloud ou Meudon. Il y avait dans ces bois des mares, et dans ces mares, salamandres et tritons !

    
Char est comme [Gracq] l'homme de la liberté et de la solitude, mais d'une solitude un peu apprivoisée ; il est aussi l'homme de l'approfondissement. Il creuse aussi droit qu'il peut, aussi loin qu'il a la force.
     Autrefois, à Pernes, il se faisait des "concours de sillons". Un vaste champ était offert à ce jeu de laboureurs. Ils arrivaient avec leur brabant, leur meilleure bête – on disait plutôt bête que cheval – et leur bon fouet tressé. La palme revenait à qui avait su tracer le sillon rectiligne le plus parfait sur la distance fixée – et elle était longue ! Char est de cette Provence où les paysans, par amusement, par délassement, se livraient à ces jeux de force et d'habileté. (...)
     Char laboure. Il va droit, pesant de tout son poids sur les mancherons de sa charrue, pour faire rouler de chaque côté des versoirs luisants une terre vivante, grasse, riche et dont chaque motte révèle ce que cachent les herbes folles et les fleurs dont d'autres composent leurs bouquets.
     Char, si serré dans son écriture, se livre dans la conversation, au lieu que Gracq, qui tire sur le Breton, fermé sur lui-même, ne s'abandonne que dans son œuvre. Char ne croit probablement pas beaucoup à l'inspiration ; mais, au hasard d'une rencontre, à l'aimantation des êtres et des choses. Il sait que le poète est un médium qui perçoit, sait le lieu et la prise. Quand il laboure, il pèse sur la terre ; il va toujours plus loin ; il revient sur le sillon autant de fois qu'il faut. Un manuscrit de Char est toujours la recherche de la dernière perfection. Quand on en est à l'impression, le repentir intervient : un mot, une inversion et le livre n'est pas plutôt achevé que se révèle ce qui aurait pu le parfaire. Tel poème de quelques vers n'a pas eu moins de sept ou huit états dont chacun a été définitif pendant quelques heures ou quelques jours. (...)
     Char multiplie les efforts pour atteindre son but, au lieu que Gracq engage son attelage dans le champ qu'il a choisi, généralement celui du Destin, et laisse son roman aller son train et les choses se découvrir d'elles-mêmes, parfois, se révéler à sa surprise. (...)
     Je ne crois pas que Char ait jamais abandonné un poème qui l'habitait sous prétexte qu'il manquait de prise. C'est un homme d'action en même temps que de pensée ; un homme fort, qui commande, qui impose ; au lieu que Gracq est un homme qui recueille ce qui lui convient dans le champ qu'il a choisi parce que ce champ était terre d'élection, mais seulement ce qui lui convient.
     Sans doute est-ce deux choses : composer un poème et venir à bout d'un long récit ; mais l'étendue ne fait rien à l'affaire – et un poème de Char, même court, n'est pas une petite œuvre. En fait, il s'agit de deux natures d'homme qui se trouvent être, chacun dans sa manière, et je ne me crois pas aveuglé par l'amitié, les deux plus grands créateurs de ce temps.

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JOSE  CORTI

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stael
" Paysage de Provence "
Oeuvre Nicolas de Staël

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