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EMMILA GITANA
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1 février 2011

CONTE DE LA MER A LA MORT

La mer est du bleu qui tient d'elle son nom. Il n'y a que deux bleus: celui marine de la mer et celui bleu ciel du ciel. La crête des collines s'effiloche dans la lumière. Le piaillement des mouettes lève une rumeur aussi forte que celle de l'eau, mais toutes deux s'épuisent dans le silence. Au loin la ville dort son rêve d'Orient disparu comme nous-même nos chimères. A la verticale de cette lumière sans ombre, l'histoire se dépouille de ses anecdotes jusqu'à l'os d'une éternité décapée par le sel.
                    Écoute Petit Pops. Écoute.
Nous naviguerons sur la mer et les mots tissus d'une même trame jusqu'à ce qu'ils se rejoignent, quand la marée venue du fond de nos crânes aura rejoint sa jumelle marine sur ce fil d'horizon où tout à l'heure basculera le soleil.
Aujourd’hui le sillage des barques raye à peine la peau d'une mer généreuse et loquace – aussi mince que nos actes à nous qui en faisons si peu par rapport aux promesses de la vie-. Une autre fois la mer avait disparu sans raison dans la mer. Une autre encore elle fut d'iris mauves à l'à-pic de la Baie des Singes où l'argile la pétrit de continents.
Peut-être d'autres que nous joueront-ils à transformer la crique en océan et les écorces en frégates s'échouant au premier ressac sur l'ourlet de varech avec nos rêves d'Amérique et nos vies à nous précieuses et indifféremment emportées.
Écoute Petit Pops. Il n'y a rien d'autre à confier à la marée des mots que ce bois rongé d'eau, repoussé par une houle de vaguelettes et sans autre avenir que la putréfaction.
Écoute que je te raconte comme contait Shéhérazade, pour retarder le temps, gagner un jour, une nuit, un matin, un temps d'aimer et de respirer l'odeur d’iode et de sel.
Il reste tant à raconter : l'histoire de la mer rousse sous les arbres à pain ou celle de ces eaux rayée de ramures que le vent hérissait de crêtes belliqueuses. Du vent il faudra aussi que je te parle, du vent souverain balayant tout et toute attente.
Et puis de cette mer presque ensablée où nous courrions, amants, à sa rencontre et à la nôtre vers une nuit d'amour dans le sifflement de la brise entre les joncs, et aussi des dunes qui reculent imperceptiblement et dont je guettais la reptation avec l'espoir insensé de saisir une langue de sable tâtonnant vers la parole.
                    Et de l'huile des ports tatouant la mer à quai de pupilles attentives.
Et du pin qui surplombe la crique de Cassis, où nous misions au casino trois francs six sous et une fortune de rires.
                    Écoute.
Ce n'est qu'un pin d'Alep accroché à flanc de falaise, où la mer semble l'avoir jeté au terme d'un naufrage et où sa silhouette grêle de survivant agonise dans la chaleur du jour. Mais, au coucher du soleil, ses aiguilles clignotent d'émerillons. L'arbre grésille de braises tandis que, lentement, la mer s'éteint dans un rougeoiement d'incendie. Bientôt une eau noire et massive enchâsse la roche encore animée d'un frémissement de flammèches. Puis, à la lueur de la lune, quand les veines de craie tombent en cascades de blanc dans le bitume d'une mer engloutie, les aiguilles du pin séparées du tronc et des branches devenus invisibles, projettent sur l'eau une ombre de cils vibratiles démesurément agrandie.
                    Un œil se met à battre contre l'orbite de pierre où s'ouvre la paupière de la mer.
Dans ce regard démesuré embrassant tout mais que la vue ne peut embrasser, contemplant une vision au delà de notre mesure, nous nous poserons.
Nous nous reposerons dans la sérénité de ce regard qui n'interroge pas, ne plaint pas, ne condamne pas et laisse vivre en paix dans le reflet de sa pupille indifférente.
Peut-être la mort, à qui je ne donne visage que pour masquer son nom, aura-t-elle ce regard… mais d'ici là, écoute...
                    Écoute.
Il y a tant de mers à dire. Et pas seulement des mers. Des terres, des ciels, des villes, des corps, des vivants aimés et d'autres non, des communs, des étranges, des que j'ai su entendre et d'autres que j'ai oubliés et les mots qu'ils ont prononcés et leurs gestes et tant de vivre et de voir si divers et les histoires qu'on voudrait retenir et celles qu'il faudrait oublier, des histoires à n'en plus finir mon histoire comme la mer raconte sans se lasser à l’oreille de la mer…

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CLAUDE BER

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Oeuvre Yahne le Toumelin

      http://www.rireduciel.com

 

 

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