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EMMILA GITANA
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15 avril 2011

DEUX FEMMES

Je suis une femme

Je suis une femme

 

Je suis une femme née d'une femme dont l'homme acheta une usine.

Je suis une femme née d'une femme dont l'homme travailla à l'usine.

 

Je suis une femme dont l'homme porte des costumes de soie; qui surveille constamment son poids.

Je suis une femme dont l'homme porte des costumes en lambeaux, dont le coeur est constamment serré à cause de la faim.

 

Je suis une femme qui éleva deux bébés qui devinrent de beaux enfants.

Je suis une femme qui éleva deux bébés morts faute de lait.

 

Je suis une femme qui éleva des jumeaux qui allèrent au lycée et passèrent leurs vacances à l'étranger.

Je suis une femme qui éleva trois enfants dont les ventres sont plats faute de nourriture.

 

 Un homme vint;

Mais un homme vint;

 

Et il raconta aux paysans qu'il s'enrichirait et que ma famille s'appauvrirait.

Et il me parla de jours meilleurs, et il fit des jours meilleurs.

 

Nous devions manger du riz

Nous mangions du riz

 

Nous devions manger des haricots!

Nous mangions des haricots

 

On n'accorda plus de visa à mes enfants pour qu'il puisse partir en vacances en Europe.

Mes enfants ne pleuraient plus pour s'endormir.

 

Et je me sentis paysanne.

Et je me sentis une femme.

 

Une paysanne avec une vie ennuyeuse, dure, sans attrait.

Une femme avec une vie qui lui permettait parfois de chanter.

 

Et je rencontrai un homme.

Et je rencontrai un homme.

 

Et ensemble nous commencèrent à comploter avec l'espoir de retrouver la liberté.

Je vis son coeur se mettre à battre avec l'espoir de la liberté, enfin.

 

Un jour, le retour de la liberté.

Un jour la liberté.

 

Et alors,

Mais alors,

 

Un jour,

Un jour,

 

Il y eut des avions au-dessus de nos têtes et des fusils qui tiraient tout près.

Il y eut des avions au-dessus de nos têtes et des fusils qui tiraient au loin.

 

Je rassemblai mes enfants et rentrai chez moi.

Je rassemblai mes enfants et couru.

 

Et les fusils s'éloignèrent de plus en plus.

Et les fusils se rapprochèrent de plus en plus.

 

Et alors, ils annoncèrent le retour de la liberté!

Et alors ils arrivèrent, c'était de très jeunes hommes.

 

Ils vinrent en compagnie de mon homme.

Ils vinrent et trouvèrent mon homme.

 

Ces hommes qui avaient presque tout perdu.

Ils trouvèrent tous ces hommes qui ne possédaient que leur vie.

 

Et nous trinquâmes pour fêter l'événement

Et ils les tuèrent tous.

 

Les meilleurs apéritifs.

Ils tuèrent mon homme.

 

Puis ils nous invitèrent à danser.

Puis ils vinrent pour moi.

 

Moi.

Pour moi, la femme.

 

Et ma soeur.

Et pour ma soeur.

 

Alors, ils nous emmenèrent

Ils nous emmenèrent,

 

Ils nous emmenèrent diner dans un petit club privé.

Ils nous arrachèrent la dignité que nous avions gagnée.

 

Et ils nous offrirent du boeuf.

Et ils nous frappèrent.

 

Les plats se suivaient sans cesse.

Sans cesse ils étaient sur nous.

 

Nous étions prêt d'éclater tant nous avions mangé.

Coup de poing, immersion, - les soeurs saignent, les soeurs meurent.

 

C'était magnifique d'être libre à nouveau!

C'était vraiment un soulagement que d'avoir survécu.

 

Les haricots avaient maintenant presque disparu.

Les haricots avaient disparu.

 

Le riz - je l'avait remplacé par du poulet ou du steak.

Le riz, je n'en trouve pas

 

Et les fêtes continuent nuit après nuit pour effacer tout le temps perdu.

Et mes larmes silencieuses se joignent à nouveau aux cris nocturnes de mes enfants.

 

Et je me sens à nouveau une femme.

On dit que je suis une femme.

  Ce texte a été écrit par une ouvrière chilienne en 1973, peu après l'assassinat du Président Allende. Une missionnaire américaine le traduisit et l'emporta avec elle quand elle fut expulsée du Chili.

Texte emprunté sur le site de Jean-Marc Lafrenière

http://lafreniere.over-blog.net/

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charqui

Fresque de Charqui

 

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