LE SOLSTICE DES VIEUX
(...)
En descendant
par le petit escalier
où il faut faire attention
j'ai adopté le pas des vieux
c'est eux qui marchaient devant moi
les craquelés les boîteux les demi souffles
les femmes à coiffe
jusqu'à la plus tremblante
qui les menait tous
vers le milieu d'un cercle d'arbres
sans aucune feuille
mais lourds et gonflés d'autre chose
les vieux semblaient soulevés
par une sorte de main savante
qui voulait les rendre à la forêt
ou peut-être simplement les promener
je ne sais pas si j'avais le droit d'être là
mais je tenais à continuer
un long travail m'avait donné cette forme
la pierre des ruelles frémissait sur mon passage
comme un chat qui ne sait pas choisir
entre ami et ennemi
j'ai apposé ma main sur les murs
et
un labyrinthe dans la paume
j'ai suivi ces siècles sans prétention
qui trébuchaient sur les marches
sur les épaules des vieux et des vieilles
il y avait des coffres aux clés rouillées
des pardons accordés très longtemps après la faute
et des tartes qui n'existent
que dans une seule famille au monde
ils semblaient attentifs
comme s'ils écoutaient une cloche et un choeur
audibles d'eux seuls
ça sentait l'amande chauffée par le soleil
tout était lent subtil et régulier
des gestes d'artisans
un simple genou fléchi
un simple bras tendu
pour ajuster le cercle
à un moment
ils ont dit que le cercle des arbres
était satisfait de celui des hommes
ensuite
je me souviens seulement qu'ils ont creusé un puits
qu'ils y ont déversés des objets invisibles
pas les coffres ni les clés
mais l'esprit des coffres et l'esprit des clés
et un rayon a jailli du puits
alors la plus vieille de tout le village
la plus tremblante
celle dont le visage n'était plus qu'un sourire
m'a expliqué
qu'ici
à chaque solstice
les vieux viennent adorer leurs descendants
autour de cet autel creux
et les remercier d'exister
parfois avant même qu'ils soient nés
ils disent qu'ils creusent la terre jusqu'à son soleil
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NASRIL ET ANDURIL
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