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EMMILA GITANA
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29 juin 2011

LA POESIE COMME EXPERIENCE...EXTRAIT

« Il n’y a pas d’expérience poétique au sens d’un vécu ou d’un état poétique. Si quelque chose de tel existe, ou croit exister – et après tout c’est la puissance, ou l’impuissance, de la littérature que d’y croire ou d’y faire croire -, en aucun cas cela ne peut donner lieu à un poème. A du récit, oui ; ou à du discours, versifié ou non. A de la littérature, peut-être, au sens où tout au moins on l’entend aujourd’hui. Mais pas à un poème. Un poème n’a rien à raconter, ni rien à dire : ce qu’il raconte et dit est ce à quoi il s’arrache comme poème. Si l’on parle d’émotion poétique, il faut la comprendre comme émoi, ce qui veut dire : absence ou privation de moyens.

(…) Mais le vouloir-ne-rien-dire d’un poème n’est pas un vouloir ne rien dire. Un poème veut dire, il n’est même que cela, pur vouloir-dire. Mais pur vouloir-dire le rien, le néant, ce contre quoi et par quoi il y a la présence, ce qui est. Et parce que le néant échappe à tout vouloir, le vouloir du poème s’effondre comme tel (un poème est toujours involontaire, comme l’angoisse et l’amour, et même la mort que l’on se donne), c’est rien qui se laisse dire, la chose même, et se laisse dire en et par celui qui s’y porte malgré lui, le reçoit comme l’irrecevable et s’y soumet. L’accepte, en tremblant que lui se refuse, étant si étrange, fuyant, insaisissable, comme l’est après tout le sens de ce qui est.

S’il n’y a pas d’ expérience poétique, c’est en somme tout simplement parce que l’expérience est le défaut même du vécu. C’est pourquoi l’on peut parler, au sens rigoureux, d’une existence poétique, si l’existence est ce qui troue la vie et la déchire, par moments, nous mettant hors de nous. C’est pourquoi aussi, l’existence étant furtive et discontinue, les poèmes sont rares et forcément brefs, même lorsqu’ils s’amplifient pour tenter de conjurer la perte ou l’évanescence de ce qui les a contraints de naître. Et c’est pourquoi encore il n’y a rien d’obligatoirement grandiose dans le poétique, et l’on a tort en général de confondre poésie et célébration : au plus extrême de la trivialité, dans l’insignifiance, à la limite même de la frivolité (où il est arrivé toutefois à Mallarmé de se perdre), il peut y avoir ce pur – jamais pur – insolite, ce don de rien ou ce présent de rien, comme on peut dire d’un cadeau sans importance : ce n’est rien. »

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PHILIPPE LACOUE-LABARTHE

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