CONFESSION VERIDIQUE D'UN TERRORISTE ALBINOS...Extrait
Il n'est pas naturel de ne jamais voir les étoiles ou la lune —c'est aussi cruel que de priver quelqu'un de bruit. Je n'ai revu la lune que le 19 avril 1976 quand à environ quatre heures moins vingt-trois minutes de l'après-midi je me retrouve dans la plus grande des trois cours, entouré de hauts murs qui la font ressembler à un puits. J'ai levé les yeux et à mon plus grand étonnement, j'ai vu dans un morceau de ciel, une forme blanche et ridée [...] ce ne pouvait être que la lune. Et ils m'ont dit qu'on l'avait pendue, qu'elle était morte !
Le soleil et son absence sont devenus le pivot de notre existence quotidienne. Vous attendez. Vous construisez votre journée sur la demi-heure pendant laquelle on vous autorisera à sortir dans la cour pour dire bonjour au soleil. Vous suivez sa course dans l'univers derrière vos paupières. Vous devenez son disciple. Le soleil ne sait rien de la justice des hommes. Vous savez exactement jusqu'où il descend et à quel moment —hiver, automne, ou été— et si vous avez de la chance, comme cela m'est arrivé pendant quelque temps, d'être dans une cellule du couloir principal, avec des fenêtres donnant sur la passerelle qui n'est pas fermée vers l'extérieur, vous pouvez avoir une lueur, un soupçon, un reflet de soleil en certaines saisons, mais qui ne va jamais assez loin pour que vous puissiez le sentir. Je grimpais sur mon lit, puis sur les montants et, pendant quelque chose comme deux minutes par jour, un rayon jaune me caressait les cheveux. Évidemment, vous finissiez par avoir une conscience aigüe, comme un sens en vous-même jusqu'ici inexploré, du moment exact où le soleil se lève et se couche sans même ne jamais le voir. Aux premiers frissons de l'aube, avant même qu'on sonne le réveil, je me levais et j'essayais de m'installer dans le coin de la cellule où le gardien ne pouvait pas me voir et pendant une demi-heure je restais assis en zazen, et je sentais naître en moi une profonde source de lumière qui, inexorablement, dénuitait le monde ; les yeux à demi fermés, je pouvais sentir ses premiers rayons éclairer le toit fait de fibre de verre, donner forme aux arbres que nous savions tout près parce que les oiseaux parlaient, puis sauter les murs de brique rouge et investir le jour...
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BREYTEN BREYTENBACH
Texte cité dans Écrivains en prison (p. 62-65)
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Breyten Breytenbach