« Si seul le mal répond au mal, quand le mal finira-t-il ? »
Discours d'Hector dans l'Iliade
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(...) La justice pénale ne peut avoir qu'un de ces trois objets en vue : indemniser la victime, corriger le coupable, préserver la société : par la peine de mort vous ne le pouvez pas; tout le sang que vous verserez ne restituera pas une goutte de celui qui aura été répandu. Corriger le coupable : vous ne le pouvez pas, si vous le tuez. Préserver la société : je viens de vous démontrer que la peine de mort n'agit presque pas dans huit cas sur dix, et que la société est pourvue de forces suffisantes pour sa préservation. En fait, l'abolition de la peine de mort, bien plus que son maintien, aurait un effet protecteur : "Oui, je dis que quelques gouttes de sang répandues de temps en temps sous les yeux du peuple (...) seront moins efficaces que cette proclamation sociale de l'inviolabilité de la vie de l'homme, que vous ferez à la face du monde en abolissant l'échafaud. C'est un dogme auquel vous donnerez une autorité toute puissante"
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ALPHONSE DE LAMARTINE
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"Oh ! nous sommes le dix-neuvième siècle ; nous sommes le peuple nouveau ; nous sommes le peuple pensif, sérieux, libre, intelligent, travailleur, souverain ; nous sommes le meilleur âge de l'humanité, l'époque de progrès, d'art, de science, d'amour, d'espérance, de fraternité ; échafauds ! qu'est-ce que vous nous voulez ? Ô machines monstrueuses de la mort, hideuses charpentes du néant, apparitions du passé, [...] Vous êtes les choses de la nuit, rentrez dans la nuit. Est-ce que les ténèbres offrent leurs services à la lumière ? Allez-vous-en.
Pour civiliser l'homme, pour corriger le coupable, pour illuminer la conscience, pour faire germer le repentir dans les insomnies du crime, nous avons mieux que vous, nous avons la pensée, l'enseignement, l'éducation patiente, l'exemple religieux, la clarté en haut, l'épreuve en bas, l'austérité, le travail, la clémence. Quoi ? du milieu de tout ce qui est grand, de tout ce qui est vrai, de tout ce qui est beau, de tout ce qui est auguste, on verra obstinément surgir la peine de mort ?" -- Victor Hugo, Aux habitants de Guernesey (1854)
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Assemblée constituante
15 septembre 1848.
Je regrette que cette question, la première de toutes peut-être, arrive au milieu de vos délibérations presque à l’improviste, et surprenne les orateurs non préparés.
Quant à moi, je dirai peu de mots, mais ils partiront du sentiment d’une conviction profonde et ancienne.
Vous venez de consacrer l’inviolabilité du domicile, nous vous demandons de consacrer une inviolabilité plus haute et plus sainte encore, l’inviolabilité de la vie humaine.
Messieurs, une constitution, et surtout une constitution faite par la France et pour la France, est nécessairement un pas dans la civilisation. Si elle n’est point un pas dans la civilisation, elle n’est rien. (Très bien ! très bien !)
Eh bien, songez-y, qu’est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. (Mouvement.) Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. (Sensation.)
Messieurs, ce sont là des faits incontestables. L’adoucissement de la pénalité est un grand et sérieux progrès. Le dix-huitième siècle, c’est là une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le dix-neuvième siècle abolira la peine de mort. (Vive adhésion. Oui ! oui !)
Vous ne l’abolirez pas peut-être aujourd’hui ; mais, n’en doutez pas, demain vous l’abolirez, ou vos successeurs l’aboliront. (Nous l’abolirons ! Agitation.)
Vous écrivez en tête du préambule de votre constitution « En présence de Dieu », et vous commenceriez par lui dérober, à ce Dieu, ce droit qui n’appartient qu’à lui, le droit de vie et de mort. (Très-bien ! très-bien !)
Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n’appartiennent pas à l’homme l’irrévocable, l’irréparable, l’indissoluble. Malheur à l’homme s’il les introduit dans ses lois ! (Mouvement.) Tôt ou tard elles font plier la société sous leur poids, elles dérangent l’équilibre nécessaire des lois et des moeurs, elles ôtent à la justice humaine ses proportions ; et alors il arrive ceci, réfléchissez-y, messieurs, que la loi épouvante la conscience. (Sensation.)
Je suis monté à cette tribune pour vous dire un seul mot, un mot décisif, selon moi ; ce mot, le voici. (Écoutez ! écoutez !)
Après février, le peuple eut une grande pensée, le lendemain du jour où il avait brûlé le trône, il voulut brûler l’échafaud. (Très bien ! — D’autres voix : Très mal :
Ceux qui agissaient sur son esprit alors ne furent pas, je le regrette profondément, à la hauteur de son grand coeur. (À gauche : Très bien !) On l’empêcha d’exécuter cette idée sublime.
Eh bien, dans le premier article de la constitution que vous votez, vous venez de consacrer la première pensée du peuple, vous avez renversé le trône. Maintenant consacrez l’autre, renversez l’échafaud. (Applaudissements à gauche. Protestations à droite. )
Je vote l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort.
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VICTOR HUGO
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"La peine de mort est contraire à ce que l'humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêve de plus noble."
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JEAN JAURES
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"L'exécution capitale n'est pas simplement la mort. Elle est aussi différente, en son essence, de la privation de vie, que le camp de concentration l'est de la prison.
Elle est un meurtre, sans doute, et qui paye arithmétiquement le meurtre commis. Mais elle ajoute à la mort un règlement, une préméditation publique et connue de la future victime, une organisation, enfin, qui est par elle-même une source de souffrances morales plus terribles que la mort. Il n'y a donc pas équivalence.
Beaucoup de législations considèrent comme plus grave le crime prémédité que le crime de pure violence. Mais qu'est-ce donc que l'exécution capitale, sinon le plus prémédité des meurtres auquel aucun forfait criminel, si calculé soit-il, ne peut être comparé ?
Pour qu'il y ait équivalence, il faudrait que la peine de morte châtiât le criminel qui aurait averti sa victime de l'époque où il lui donnerait une mort horrible et qui, à partir de cet instant, l'aurait séquestrée à merci pendant des mois. Un tel monstre ne se rencontre pas dans le privé."
(...)
Le châtiment, qui sanctionne sans prévenir, s'appelle en effet la vengeance. C'est une réponse quasi arithmétique que fait la société à celui qui enfreint sa loi primordiale. Cette réponse est aussi vieille que l'homme, elle s'appelle le talion. Qui m'a fait mal doit avoir mal, qui m'a crevé un oeil doit devenir borgne ; qui a tué enfin doit mourir. Il s'agit d'un sentiment, et particulièrement violent, non d'un principe. Le talion est de l'ordre de la nature et de l'instinct, il n'est pas de l'ordre de la loi. La loi, par définition, ne peut obéir aux mêmes règles que la nature. Si le meurtre est dans la nature de l'homme, la loi n'est pas faite pour imiter ou reproduire cette nature. Elle est faite pour la corriger. Or le talion se borne à ratifier et à donner force de loi à un pur mouvement de nature. Nous avons tous connu ce mouvement, souvent pour notre honte, et nous connaissons sa puissance : il nous vient des forêts primitives. A cet égard, nous autres Français qui nous indignons, à juste titre, de voir le roi du pétrole, en Arabie séoudite, prêcher la démocratie internationale et confier à un boucher le soin de découper au couteau la main du voleur, nous vivons aussi dans une sorte de Moyen Age qui n'a même pas les consolations de la foi. Nous définissons encore la justice selon les règles d'une arithmétique grossière. Peut-on dire du moins que cette arithmétique est exacte et que la justice, même élémentaire, même limitée à la vengeance légale, est sauvegardée par la peine de mort ? Il faut répondre que non.Laissons de côté le fait que la loi du talion est inapplicable et qu'il paraîtrait aussi excessif de punir l'incendiaire en mettant le feu à sa maison qu'insuffisant de châtier le voleur en prélevant sur son compte en banque une somme équivalente à son vol. Admettons qu'il soit juste et nécessaire de compenser le meurtre de la victime par la mort du meurtrier. Mais l'exécution capitale n'est pas simplement la mort. Elle est aussi différente, en son essence, de la privation de vie, que le camp de concentration l'est de la prison. Elle est un meurtre, sans doute, et qui paye arithmétiquement le meurtre commis. Mais elle ajoute à la mort un règlement, une préméditation publique et connue de la future victime, une organisation, enfin, qui est par elle-même une source de souffrances morales plus terribles que la mort. Il n'y a donc pas équivalence. Beaucoup de législations considèrent comme plus grave le crime prémédité que le crime de pure violence. Mais qu'est-ce donc que l'exécution capitale, sinon le plus prémédité des meurtres auquel aucun forfait de criminel, si calculé soit-il, ne peut être comparé ? Pour qu'il y ait équivalence, il faudrait que la peine de mort châtiât un criminel qui aurait averti sa victime de l'époque où il lui donnerait une mort horrible et qui, à partir de cet instant, l' aurait séquestrée à merci pendant des mois. Un tel monstre ne se rencontre pas dans le privé.Là encore, lorsque nos juristes officiels parlent de faire mourir sans faire souffrir, ils ne savent pas ce dont ils parlent et, surtout, ils manquent d'imagination. La peur dévastatrice, dégradante, qu'on impose pendant des mois ou des années au condamné, est une peine plus terrible que la mort, et qui n'a pas été imposée à la victime. Même dans l'épouvante de la violence mortelle qui lui est faite, celle-ci, la plupart du temps, est précipitée dans la mort sans savoir ce qui lui arrive. Le temps de l'horreur lui est compté avec la vie et l'espoir d'échapper à la folie qui s'abat sur elle ne lui manque probablement jamais. L'horreur est, au contraire, détaillée au condamné à mort. La torture par l'espérance alterne avec les affres du désespoir animal. L'avocat et l'aumônier, par simple humanité, les gardiens, pour que le condamné reste tranquille, sont unanimes à l'assurer qu'il sera gracié. Il y croit de tout son être et puis il n'y croit plus. Il l'espère le jour, il en désespère la nuit. A mesure que les semaines passent, l'espoir et le désespoir grandissent et deviennent également insupportables. Selon tous les témoins, la couleur de la peau change, la peur agit comme un acide. "Savoir qu'on va mourir n'est rien, dit un condamné de Fresnes. Ne pas savoir si l'on va vivre, c'est l'épouvante et l'angoisse." Cartouche disait du supplice suprême : " Bah ! c'est un mauvais quart d'heure à passer" Mais il s' agit de mois, non de minutes. Longtemps à l'avance, le condamné sait qu'il va être tué et que seule peut le sauver une grâce assez semblable, pour lui, aux décrets du ciel. Il ne peut en tout cas intervenir, plaider lui-même, ou convaincre. Tout se passe en dehors de lui. Il n'est plus un homme, mais une chose qui attend d' être maniée par les bourreaux. Il est maintenu dans la nécessité absolue, celle de la matière inerte, mais avec une conscience qui est son principal ennemi.
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ALBERT CAMUS
Reflexion sur la guillotine ( 1958 )
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Troy Davis est un corps désormais, un corps éteint, un corps dont plus personne ne pourra entendre les cris d’effroi, les appels à l’aide, c’est un Troy Davis qui a subi les affres de la justice américaine, son côté impitoyable, son côté lucide. On aura décidément pas cru aux discours humanistes de Barack Obama exhortant à plus de paix, de compréhension, de générosité, des mots définitivement enterrés dans les pages vides de l’histoire américaine.
Troy Anthony Davis (né le 9 octobre 1968 dans le comté de Butts en Géorgie et mort le 21 septembre 2011) est un Américain, condamné à mort pour le meurtre d'un policier dans la nuit du 19 août 1989 à Savannah. Sa culpabilité étant contestée par de nombreuses associations et personnalités ainsi qu'une partie du public, ses différents recours et son exécution furent largement médiatisés dans le monde.
Emprisonné à la prison de Jackson (Géorgie) à partir d'août 1991, il est exécuté par injection létale le 21 septembre 2011[1], aucun recours n'ayant abouti.