LE MAL DES FANTÔMES...Extrait
«Pas même seul. Des tas. Des tas de SEULS!»
Ainsi jadis criais-je en un poème
où ce long vers rimait avec «linceul»
faute d'une autre rime - ou du courage
d'abandonner le texte inachevé
quand on n'est plus le maître de l'ouvrage.
«Pas même seul!» criais-je.
Et ce long cri
revient encore en ce décasyllabe,
tel un fuyard en quête d'un abri.
Combien de fois le thème en ce prélude
revient et reviendra : «Pas même seul!»,
aux touches d'orgue de la solitude ?
«Des tas!» Coeur envieux, il roule en toi
l'heureux noyé sauvage sur le fleuve
dont tu n'as su – ni pu – trouver l'emploi.
«Des tas!»
Je les ai vus.
J'étais du nombre!
Que d'ombres! J'en étais. Nous attendions -
nous attendons encor la fin du monde.
«Des tas de seuls!» Chacun sur son ballot
assis, colis perdu, une monade -
et cependant figure d'un ballet
mystérieux, mobile, monotone
d'Iphigénies en marche vers l'autel...
Mais tout à coup le Choeur : «Quel Dieu ordonne
que nous ayons tout seuls,sans être seuls,
à traverser ces mers et cette vie
sans autre rime riche que «linceuls» ?
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BENJAMIN FONDANE
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Oeuvre Giorgio de Chirico