Essayez de faire entrer dans un vers français Ce mot comme un poignard Sakiet-Sidi-Youssef I Cesse donc de gémir Rien de plus ridicule Qu’un homme qui gémit Si ce n’est un homme qui pleure II Je me promène avec Un couteau d’ombre en moi Je me promène avec Un chat dans ma mémoire Je me promène avec Un pot de fleurs fanées Et des photos jaunies Je me promène avec Un vêtement irréparable Je me promène avec Un grand trou dans mon cœur III Crois moi Rien ne fait si mal qu’on pense IV Plus le poème est court Plus il entre en la chair V Il faut chasser de la cité ce poète Il n’ya pas dans la cité de place Pour l’exemple de la douleur VI Nous avons tout fait pour ceux qui étouffent Tout fait pour ceux qui demandent de l’air Construit sur la nuit des fenêtres Ouvert partout des dispensaires Epargnez-nous ce bruit de plaintes VII Il n’ya jamais rien de si beau qu’un sourire Et même avec un visage défiguré N’as-tu pas souci d’être beau VIII Portez ailleurs ces pas blessés IX Comme vous avez raison de détourner les yeux De ce qui saigne X Tout est parfaitement à sa place Ou tout au moins tout y sera XI Mendiant Lave ta main tendue XII Qui dit J’ai mal Oublie les autres XIII Il ne suffit pas de se taire Il faut savoir dire autre chose XIV Maudite soit la plante Qui ne réjouit pas les yeux Le poète n’a pas le droit D’ainsi demeurer sans fleurir XV Il n’est pas de plaie Qu’un peu de fard Ne fasse bouche De cri qu’on ne puisse infléchir Le seul crime est la discordance XVI Je parle aussi pour ceux qui ne peuvent dormir Ils ne sont pas seuls si je leur ressemble Je parle aussi pour ceux qui ont mal à mourir Pourquoi dites-vous que je suis un égoïste XVII La vie est pleine d’échardes Elle est pourtant la vie XVIII Et cela fait du bien la nuit parfois crier XIX Une fois de plus entre le miroir et toi Il y a désormais ces yeux des enfants morts XX Connais-tu le nom de la honte XXI Essayez de faire entrer dans un vers français Ce mot comme un poignard Sakiet-Sidi-Youssef
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LOUIS ARAGON
Le 8 février 1958, l’aviation française bombardait le village tunisien de Sakiet Sidi Youssef où s’abritaient les soldats du FLN. On dénombra 70 morts et 80 blessés. Louis Aragon a immortalisé ces évènements dans ce poème
Oeuvre " The bombing of Sakiet "
Peter de Francia