IL ETAIT UNE FOIS
J’avais appris la permanence des pierres
Comme les mots à la commissure de mes lèvres
Toujours un galet ou un cristal dans la poche
Quelque chose où je peux m’agripper quand la froidure du temps et des sentiments me rendent vulnérable
Et aux quatre coins de la maison
Des accumulations inutiles
Je fais des tas me dit-on
Des tas de tout
J’aime bien les tas, ça me rassure
Des petits tas comme on marque son territoire
L’aspirine dans le tiroir du buffet mélangée avec des piles électriques, quelques pièces de monnaie et d’anciens tickets de caisse
Des publicités qui s’entassent sur la table en sachant pertinemment qu’on ne les lira jamais
Les pierres aussi s’entassent
Je parle aux pierres
Aux cicatrices cristallisées de leur histoire
J’ai l’impression qu’elles me comprennent mieux que les hommes
Elles savent écouter inlassablement sans se fendre
De temps en temps seulement elles vous répondent
C’est très rare et quand ça arrive
C’est encore mieux que l’opéra de Verdi qu’interpréta Riccardo Muti à Rome en mars dernier et qui m’a fait pleurer de bonheur
Encore mieux que le point d’eau du Ténéré que nous cherchâmes des heures et des heures alors que la soif nous tenaillait
C’est magique
Un instant de fulgurance intime avec l’aube des mots
Une parole que rien n’efface
Une rencontre de l’insolite qui vous réconcilie avec le vrai discours des hommes
C’est l’inaltérable
Fureur volatile de vie qui trace une conscience et nous rend un peu meilleur
Humble exilé de la terre
Où le temps se fige
Accumulation incongrue de souvenirs qui bâtissent une tranche de vie unique et singulière
Deux regards complices
Deux mains qui se serrent
Deux sourires qui s’échangent
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JEAN-LUC GASTECELLE
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Photographie Pierre Lucas