Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
EMMILA GITANA
Visiteurs
Depuis la création 1 612 258
Newsletter
Archives
26 juin 2012

PRISONS ET PARADIS...Extraits

« Une tranche de pain bis, longue d’un pied, coupée à même la miche de douze livres, écorcée de sa croûte, et roulée, effritée comme une semoule sur la table de bois gratté, puis noyée dans le lait frais ;un gros cornichon blanc macéré trois jours dans le vinaigre et un décimètre cube de lard rosé, sans maigre : enfin un pichet de cidre dur, tiré à la cannelle du tonneau… Que vous semble ce menu ? C’st celui d’un de mes goûters d’enfant. E

Peut-être mon éclectisme, et celui de ma mère, sauvèrent-ils tout. J’allais, entre trois et quinze ans, trustant la vitamine devant qu’on l’eût inventée. A dix-huit mois, je suçais la vinaigrette dans l’assiette de ma nourrice, pour contenter ce besoin d’acide vivant qu’à présent on admet chez la créature en mal de croissance, puisqu’on lui administre jus de citron et quartiers d’orange… »
En voulez-vous un autre.

Un talon de pain chaud fariné, vidé de sa mie, tapissé intérieurement de beurre et de gelée à la framboise ; - un demi-litre de lait caillé doux, bien tremblotant, bu au pot ;- une jatte de fraises blanches.

 

Troisième menu : une tranche de pain bis, longue d’un pied etc. (voir ci-dessus), exhaussée d’un doigt de haricots rouges froids, figés dans leur sauce au vin rouge ; - une petite pannerée de groseilles à maquereau.

 

Quatrième menu, d’hiver et d’automne : les champignons, girolles, cômelles, ou mousserons, ramassées dan les bois détrempés, et sautés au beurre pendant quelques minutes ; - des châtaignes bouillies et une pomme. On peut remplacer les châtaignes par quelques « grillons » de cochon.

 

Un menu de goûter pour les mois de juillet et d‘août vous agréera-t-il ? Voici : pain chaud (la croûte seulement) trempé par larges bouchées dans l’écume des confitures de fraises ; dans l’écule des confitures de cerises ; dans l’écume des confitures d’abricots ; dans l’écume des confitures de tous les fruits de la saison !

 

Il y a aussi le beurre fondu, d’un jaune roux, gratté dans le grand pot, avec es ongles. Il y a la pâte crue de la tarte, les cœurs de salade dérobés au potager et la carotte nouvelle un eu crottée de terre. N’oublions pas le petit pois en se jeunesse sucrée, ni la fève au sortir de la cosse… Que sais-je encore ?

 

Lectrices, jeunes mères, nurses rigides, ne me foudroyez pas. Je ne prétends pas fonder une doctrine, ni bouleverser ce qu’on vous a apprit de puériculture alimentaire. Je ne prône pas, j’évoque. Laissez-moi seulement ajouter que, de ces substantiels goûters, se trouvaient bannis la tablette de chocolat gris, plâtreux, pauvre en cacao, la sucette acidulée, la brioche rance, le pain au lait proche parent de l’éponge, et le lacet de réglisse vendu au mètre. […] Je ne prescris point, je suggère, et je vous conte comment se fit l’éducation de mon estomac.

Peut-être mon éclectisme, et celui de ma mère, sauvèrent-ils tout. J’allais, entre trois et quinze ans, trustant la vitamine devant qu’on l’eût inventée. A dix-huit mois, je suçais la vinaigrette dans l’assiette de ma nourrice, pour contenter ce besoin d’acide vivant qu’à présent on admet chez la créature en mal de croissance, puisqu’on lui administre jus de citron et quartiers d’orange… »

(...)

Ayez seulement une forêt provençale, tout au moins méridionale. Fournissez-vous de bois choisi : bûches cornues d’olivier, rondins de pin pleurant la résine d’or, menue broussaille de térébinthe, d’amandier, n’oubliez pas le sarment de vigne. A même la terre, entre quatre gros éclats de granit, bâtissez, allumez le bûcher. Pendant qu’il flambe, rouge, blanc, cerise, léché d’or et de bleu, il n’y a rien à faire que le regarder. Le ciel vert du crépuscule provençal, au-dessus de lui tourne au bleu de lac.

Les flammes baissent, se couchent ; vous avez sous la main, n’est ce pas, une ou plusieurs belles pièces de poisson méditerranéen, tout vidé ? Vous avez acquis à Saint-Tropez une rascasse monstrueuse, à gueule de dragon, ou vous avez rapporté de Toulon les malins mulets à dos noirs, et vous n’avez pas omis, vidant ceux-ci ou celle-là de glisser, tout le long de leur ventre creux, un fuseau de lard ? Bon. Apprêtez votre balai, j’appelle ainsi ce bouquet odorant de laurier, de menthe, de pébredaï, de thym, de romarin, de sauge, que vous avez noué avant d’allumer votre feu. Apprêtez donc le balai, c'est-à-dire qu’il trempe dans la meilleure huile d’olive mêlée de vinaigre de vin – ici nous n’admettons que le vinaigre rose et doux. L’ail – vous pensiez naïvement qu’on pouvait se passer de lui ? – pilé, jusqu’à consistance de crème, rehausse le mélange comme il convient. Du sel, peu, du poivre assez.

Attention. Votre feu n’est plus que braise bientôt. Un lit épais de braise qui chante bas, des tisons qui flambent encore un peu ; une fumée translucide, légère, porte à vos narines l’âme consumée de la forêt… C’est le moment de donner le magistral coup de pied qui envoie, au loin, bûches, brandons et fumerolles, qui découvre et nivelle le charbon ardent d’un rose égal, met à nu le cœur pur du feu sur lequel halète un petit spectre igné, bleuâtre, plus brûlant encore que lui.

Un vieux gril, à trois pieds hauts, salamandre tordue au service de la flamme, reçoit le poisson bénit de sauce, et le tout se plante d’aplomb, en plein enfer. Là !...Vous n’en êtes pas encore à la maîtrise de l’homme du Dom, l’homme de qui l’on ne voit que l’ombre sur le feu. Le bras noir armé du balai aromatique, le bras noir sans cesse humectant, aspergeant, retournant le poisson sur le gril, pendant… Pendant combien de temps ? L’homme noir le sait. Il ne mesure rien, il ne consulte pas de montre, il ne goûte pas, il sait. C’est affaire d’expérience et de divination. Si vous n’êtes pas capable d’un peu de sorcellerie, ce n’est pas la peine de vous mêler de cuisine.

Le « poisson au coup de pied » saute de son vieux gril dans votre assiette. Vous verrez qu’il est roide, vêtu d’une peau qui craque, s’exfolie et bâille sur une chair blanche, ferme, dont la saveur se souvient de la mer et des baumes sylvestres. La nuit résineuse descend, une lampe faible, sur la table, dénonce la couleur grenat du vin qui emplit votre verre… Marquez, d’une libation reconnaissante, cet instant heureux. »

(...)

Du moins j’appris – dans une Puisaye truffière dont le sol nourrit une truffe grise, de bonne odeur et de goût nul – à me servir de la vraie truffe, la noire, la périgourdine. C’est la plus capricieuse, la plus rêvée des princesses noires. On la paie son poids d’or, le plus souvent pour en faire un piètre usage. On l’englue de foie gras, on l’inhume dans une volaille surchargée de graisse ; on la submerge, hachée, de sauce brune, on la marie à des légumes masqués de mayonnaise… Foin des lamelles, des hachis, des rognures, des pelures de truffe ! Ne saurait-on l’aimer pour elle-même ? Si vous l’aimez payer sa rançon royalement - ou écartez-vous d’elle. Mais l’ayant achetée, mangez-la seule, embaumée, grenue, mangez-la comme un légume qu’elle est, chaude, servie à fastueuses portions. Elle ne vous donnera pas, une fois étrillée, grand peine ; sa souveraine saveur dédaigne les complications et les complicités. Baignée de bon vin blanc très sec – gardez le champagne pour les banquets, la truffe se passe bien de lui-, salée sans excès, poivrée avec tact, elle cuira dans la cocotte noire couverte. Pendant vingt-cinq minutes, elle dansera dans l’ébullition constante, entrainant dans les remous et l’écume – tels des tritons joueurs autour d’une noire Amphitrite - une vingtaine de lardons, mi- gras, mi-maigres, qui étoffent la cuisson. Point d’autres épices ! « raca » sur la serviette cylindrée, à goût et relent de chlore, dernier lit de la truffe cuite ! Vos truffes viendront à la table dans leur court-bouillon. Servez-vous sans parcimonie ; la truffe est apéritive, digestive. Croquez la gemme des terres pauvres en imaginant – si vous ne l’avez pas visité- son désolé royaume […]

Ne mangez pas la truffe sans boire. A défaut d’un grand ancêtre bourguignon au sang généreux, ayez quelques Mercurey ferme et velouté tout ensemble. Et buvez peu, s’il vous plait. On dit, dans mon pays natal, que pendant un bon repas, on n’a pas soif, mais bien « faim de boire ».

.

COLETTE

.

 

CEZANNE

Oeuvre Paul Cézanne




Commentaires
EMMILA GITANA
Pages
Tags
Derniers commentaires