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EMMILA GITANA
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16 octobre 2012

DANSE DES MORTS...

Comme un crachat sur le soleil : la honte.
        Vraiment j'ai mal au monde qui est autour de nous, au monde de ce temps, au monde de ces hommes, les bourreaux, les meurtris par tous les autres confondus, persécuteurs persécutés, confondus accusés d'une même folie, d'une même indécence. Souveraine et seule souveraine est l'horreur de la souffrance, de toutes les horreurs au fond la seule horreur. J'ai mal au monde, aux vastes terres d'Amérique, aux terres basses d'Angleterre, aux terres vaines de tous ceux qui n'ont aimé qu'eux-mêmes ; aux terres pleines regorgeant, chez nous, des amantes pourries, d'amoureux liquéfiés, d'enfants retournés à la mort les yeux remplis de gris, aux terres pleines de chez nous, désormais grasses à n'en plus finir. J'ai mal au monde de tous ces charniers et de ces pourrissoirs, plus mal encore au monde mou de ces cœurs sourds qui battent comme une eau d'égout dans les poitrines noires de tous les malins de ce monde qui savent, savent si bien n'y plus penser. J'ai mal au monde qui se détourne, hommes de corde et de ficelle, tous également dénoués. J'ai mal au mal qu'on nous a fait – et que personne ne veut venger. La belle haine que nous avions portée, et si haut !
 
         Comme un crachat sur le soleil : la honte.
         J'ai mal au monde qui montre du doigt la victime difforme autant et plus que l'assassin. L'assassin porte l'uniforme et l'on prétend qu'il est soldat. J'ai mal aux cris de l'innocence au long des séculaires ans, qui ont hurlé si fort à la face de tous et qui n'ont rencontré personne pour entendre. J'ai mal à tous ces morts ; à tous ces famines qui creusent lentement, lentement, qui creusent lentement, si lentement, des trous énormes où le reste s'effondre, qui creusent dans les cuisses, dans les bras, dans les os, des fifres et des sifflets aux souffles insupportables ; qui creusent dans les mains des maladresses de montagnes ; qui creusent dans les yeux des cavernes aveugles où se plaisent les monstres, et dans les têtes et dans les cœurs et dans les sentiments et dans les souvenirs, ces vides incroyables d'avant la création du monde, ces gouffres de silence et de lenteur. J'ai mal à tous ces corps dont se détourne la vermine, habités par la mort et son tourbillon d'épouvantes. J'ai mal aux faces massacrées, aux peaux hachées de coups, aux membres arrachés, aux épaules broyées, aux reins brisés, aux fatigues insurmontées. J'ai mal aux fièvres toujours plus enfiévrées, aux délires, aux désespoirs. J'ai mal aux lentes agonies où l'agonisant n'attend plus. J'ai mal à tous ces pendus, la nuque bourrelée qui fait le crâne mou. J'ai mal aux calcinés faits comme des statues, aux déchirés, aux abattus. J'ai mal à tous ces morts ; mal à tous les vivants qui n'en sont pas revenus.
         J'ai mal à tous ces morts mêlés au fond des fosses, aux liquéfactions atroces de la promiscuité. Mal à cet anonymat sans nom. J'ai mal aux tas d'ossements, aux montagnes de cendre que le vent ne soulève plus.
         J'ai mal à tout ce monde qui était autour de nous et qui est toujours là. Et je suis seul.
         Ils sont légion et je suis seul.
         Comme un crachat sur le soleil : la honte.
         – Et le dessèchement de l'amour.
 
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ARMEL GUERNE
7 mai 1945
 
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TCHOBA 13

Oeuvre Tchoba


 
 
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