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EMMILA GITANA
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17 novembre 2012

UNE FEMME INNOMBRABLE, le roman de marie-madeleine...Extrait

« Mon bien-aimé élève la voix :
Il me dit :
lève-toi, ma bien-aimée

ma belle, viens,
va vers toi-même :
L’hiver est passé,
les pluies ont séché.
Sur notre terre les fleurs se montrent.
La saison vient des gais refrains,
le figuier forme ses premiers fruits,
et les vignes en fleur exhalent
leur parfum.
Lève-toi, ma bien-aimée,
ma belle, viens,
va vers toi-même… »


Te voir

Te regarder, mon amour,
Quand se dénoue ta chevelure,
Et se voilent tes seins,
Et ta main blanche
Sur cet océan noir.
Te regarder, à en perdre les yeux,
Jusqu’à cet invisible qui est ta secrète couleur,
L’hommage de tous tes membres.

J’ai tant voyagé,
Et aucune femme, aucun homme jamais,
Ne me fit jeter l’ancre,
Je te vois mon amour,
Et déjà je touche la terre fraîche
De mon port.

Je te vois,
Mais tu n’es ni le but
Ni l’arrivée ;
Je le devine
Tout en toi est seuil,
Ou porte,
Tu es le couloir où je m’approche
De l‘inconnu qui nous fait naître,
Du Silence
Qui nous arrache au temps.

Je te vois,
Et c’est tout ton corps qui se dérobe…

Te toucher

Te toucher mon amour…
Mais dis-moi où est ton corps ?
Ton corps véritable fait de tous les corps
Qui t’enveloppent…

Toucher ta peau très ancienne,
Où veillent encore tes oncles,
Ton père, ta mère,
Toutes ces familles reniées ou vénérables :
Dans le grain de ta peau
Il y a tant de sables, des ruines et des déserts

Toucher ta peau et en elle,
Toute cette fatigue des âges d’où tu viens :
Tout ce que ta peau donne à mes mains
Est plus que tout ce que tu me donnes ;
Tu ne sais pas tout de toi,
Tout ce qu’on peut toucher de toi.

Toucher ton corps, qui respire,
Et ce souffle qui lui appartient
Si peu,
Et qui lui donne des allures
De vagues.
Toucher le vent de ton corps,
L’inspir, l’expir qui te portent :
Te respirer, mon amour,
Avec ma bouche, avec mes bras,
Sentir ces eaux en nous
Et entre nous,
Et nos corps fouettés comme deux voiles.
Toucher ton corps d’enfant,
Si habile en frissons,
Ton corps de mère,
Maison profonde où chacun
Se sent à la maison,
Ton corps de mère qui fut rempli de chansons
Et qui aujourd’hui souffre encore
Et s’étonne de tant d’absence.

Toucher ton corps qui désire, mon amour,
Doucement dressé,
Et qui m’appelle et qui connaît le nom `
De ce qui me brûle.

Toucher ton corps qui pense, mon amour,
Immobile ou agité
De tous les mots
Appris ou déjà oubliés,
Ton corps lourd des vieux savoirs
Qui sait déjà tout,
Qui m’aime à l’avance,
Et qui au moment de nous rencontrer,
Heureusement, perd connaissance…

Toucher ton corps de paroles, mon amour,
Qui sait dire ce que les mots
Ne peuvent pas toujours dire,
Ce oui qui ne vient jamais assez tôt,
Tant on nous a enseigné
Moins l’abandon que la résistance.

Toucher ton corps de silence, mon amour,
Ton corps immense
Qui m’échappe et me déborde,
Ce grand ciel au milieu des coussins.
Je peux me perdre en toi,
Comme dans la nuit
Et j’attends l’oiseau de ton rire
Qui me ramènera sur les rivages du temps.

Tes lèvres

Tes lèvres, mon amour,
« le miel et le lait
sont sous ta langue ».
avec toi j’ai retrouvé le goût,
tout le goût de la vie,
dans un seul de tes baisers.
Désormais, quand je respire,
Le moindre de mes souffles
A ta saveur.
Ton corps est un grenier de myrrhe,
Dans la fatigue du chemin
Se mêlent nos aromates.

Lorsque je me suis approchée de la fontaine
De ton corps, mon amour,
J’ai su que mes lèvres
Etaient faites pour boire,
Et que tu ne tromperais pas ma soif.
Le lait que tu m’as donné
N’était pas celui de ma mère,
Il ne nourrissait pas l’enfant,
Il faisait naître la femme ;
La femme heureuse que je suis,
Eveillée ou endormie, contre ton épaule
Et je comprends
Pourquoi tu nous as demandé
De manger ton corps,
De goûter au fruit défendu.
Mes lèvres comprennent, ma tête s’égare,
Ma tête qui n’est plus innocente,
Mes lèvres qui le sont restées,
Ou est-ce ta saveur qui leur ôte toute mémoire ?

Mais tu nous dis encore
De « boire ton sang »,
Cela je ne peux, ni le vouloir,
Ni le désirer.
Le sang des victimes,
Ce n’est pas de ce sang
Que tu m’as demandé de boire,
Et ceux qui y boivent ne connaîtront
Pas d’autre goût que le goût du crime.

Tu ne nous as pas dit de boire le sang versé,
Mais de boire et de s’enivrer au sang vif
Qui frémit et bouillonne,
Dans les méandres de nos membres
Amoureux.

Où était mon corps, mon amour,
Avant que tu le regardes ?
Avant que tu le respires ?
C’est quand tu l’as touché
Qu’il a pris forme,
C’est lorsque tes lèvres ont effleuré ma peau
Qu’il s’est mis à chanter…

Te désirer

Te désirer mon amour
D’un unique désir
Tous mes désirs et tous mes sens rassemblés
Y a-t-il autre chose
Qui puisse anoblir et justifier mon existence ?
Quand on a connu le silence
Que fait un grand amour,
Que reste-t-il à chercher ?
Mais, disais-tu,
Il reste à marcher,
A partager cette joie inconnue :
« Mangez, amis, buvez,
enivrez-vous. »
pleurez aussi,
d’étranges larmes,
parce que l’Amour,
le simple et bel amour,
des bêtes et de la terre,
des hommes, des anges et des dieux,
l’amour n’est toujours pas aimé…
 
.
 
JEAN-YVES LELOUP
 
.
 

Henry_Ossawa_Tanner_1

Oeuvre Henry Ossawa Tanner


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