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EMMILA GITANA
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26 novembre 2012

L'AFFICHEUR HURLE...Extrait

(...)


J’habite en une terre de crachats de matins hâves et de
rousseurs malsaines les poètes s’y suicident et
les femmes s’y anémient les paysages s’y lézardent et
la rancœur pullule aux lèvres de ses habitants
non non je n’invente pas je n’invente rien je sais
je cherche à nommer sans bavure tel que c’est
de mourir à petit feu tel que c’est
de mourir poliment
dans l’abjection et dans l’indignité tel que c’est
de vivre ainsi
tel que c’est de tourner retourner sans fin dans
un novembre perpétuel dans un délire de poète fou
de poète d’un peuple crétinisé décervelé
vivre cela le dire et le hurler en un seul long cri de
détresse qui déchire la terre du lit des fleuves à la
cime des pins
vivre à partir d’un cri d’où seul vivre sera possible
[…]
avons-nous besoin de pratiquer ici le long raisonné dérèglement

de tous les sens ne sommes-nous pas les
sombres voyants de la vie absente
dans la ruelle Saint-Christophe
dans la ruelle vérité
est-ce la vie qui fait claquer
son grand pas d’ombre et de démente
le dur petit soleil qui cogne contre les tôles des hangars
des taudis a le visage crispé de mon aujourd’hui
qu’il me regarde oui qu’il me toise et me transperce je
rends le son brisant et sec des broussailles d’arrière-
saison je suis novembre courbé sous le talon de la
bise
dans la ruelle Saint-Christophe est-ce ma vie que je dis-
pute aux poubelles au pavé la vie que je prends en
chasse ai-je fait d’un haut-le-cœur ma vérité
ma vérité celle qui ne réfute aucun diplôme pas même
le diplôme doré du poème ma vérité de crânes en
friches et de latentes sauvageries ma vérité d’arrière-
grands-parents leur profonde et superbe ignorance
leurs fronts butés l’ancestrale ténèbre affleurant à
l’orage folie de mes mots
la vérité vous saisissez je n’y comprends rien pas un traître mot

et je m’en balance elle me fait mal comme le
regard oblique et jaune du clochard
le sombre soleil qui me tue sonne quelle heure au monde
quelqu’un s’est tu est-ce ma vie est-ce mon sang
quelqu’un s’est tu au fond de la ruelle est-ce la fin
de ce mal gris qui est ma vie

(...)


nous n’aurons même pas l’épitaphe des décapités des
morts de faim des massacrés nous n’aurons été
qu’une page blanche de l’histoire
même chanter notre malheur est faux d’où lui tirer un
nom une musique
qui entendra nos pas étouffés dans l’ornière américaine
où nous précède et déjà nous efface la mort terrible
et bariolée des peaux-rouges
en la ruelle Saint-Christophe s’achève un peuple jamais
né une histoire à dormir debout un conte qui finit
par le début
Il était une fois… et nous n’aurons su dire que le balbutiement gêné

d’un malheureux qui ne sait nommer
son mal
et qui s’en va comme un mauvais plaisant

honteux de sa souffrance

comme d’un mensonge

.

PAUL CHAMBERLAND

 

.

J

Oeuvre J.M. Staive

 

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