RETOUR
En allant vers la mer
j’aurai voulu redevenir enfant
mais je manquais de temps
pour laver mon visage
Sur les rochers en éboulis
des traces de marée noire
je suis revenu avec mes rides
et du sang vicié dans le cœur
Il aurait fallu demeurer longtemps
laisser s’effacer les images
trop belles qui nous devancent
cartes postales sans âme
laisser le soir endormir les oiseaux
et la brume tout recouvrir
(l’espoir était si mince
qu’un rayon de soleil
aurait pu le briser)
Peut-être la mer aurait-elle parlé
non pas les plaintes des tempêtes
ni des appels trop cajoleurs
j’aurais voulu des mots très forts
de très singuliers propos
(non pas des idées en miroir)
pour repartir le cœur changé
Elle était là pourtant
pesant de toute sa puissance
sur les rocs d’où les cormorans
plongeaient dans l’écume
elle émettait son chant
tout au bord des falaises
le lançait sur la lande
au loin vers les premiers labours
En approchant de la mer
j’aurais voulu lui promettre
de ne jamais mentir
Auprès d’elle il était facile
de ne plus tricher
dénuder un corps grêle
et le laisser saisir
par l’étendue sans limite
Était-cela plongée
dans l’élément primordial
ou le choc des galets
tel le hochet d’un berceau
tout parlait d’innocence
(au moins de refus de fraude)
L’ampleur de l’horizon
la profondeur de l’eau
l’aplomb vertical du soleil
éliminaient tout refuge
La précarité même
face à tant d’infini
l’absolu de la soumission
au bon vouloir des vagues
disaient la vanité
d’un quelconque repliement
Il en était de l’immersion
ainsi qu’aux mosaïques d’or
où le personnage nu
surveillé par les anges
accède à la transparence
d’un être dans sa nouveauté
Pourtant il fallait revenir
revêtir les habits anciens
retrouver us et coutumes
gestes convenus _ sourires
préparés à l’avance
Suffisait-il de la mémoire
pour garder la vision
d’une existence sans mensonge
PIERRE ETIENNE