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EMMILA GITANA
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30 décembre 2012

LE DERNIER POEME DE JEAN SENAC

Il ne s'est pas enfermé pour écrire
son poème a flairé le danger
lui a laissé la porte ouverte
Pas de poème sans risque
Sa barbe lissait le pubis
de la page transparente
et ses lèvres murmuraient
la sourate du pardon
Il dessina d'abord un soleil
un petit rond d'écolier
affublé de rayons démesure
La nuit criait au viol
Alger buvait à mort
entre hommes
Puis il tailla son crayon
ou se taillada une veine
mais j'imagine
qu'il écrivit au rouge
sans ratures
les fragments que voici:

« Naufrage des doigts
sculptés dans le silence
D'autres suffocations montent
du goulot amer du dire
Tous ces riens vomis sur le parvis du poème

Les mots ne manquent pas
plutôt
le vouloir dire
À quoi bon
à quoi mauvais?
La douleur
seule

Le poème qui ne veut pas naître a ses raisons

Surtout
ne pas mendier
à la porte du silence
mais le gérer
comme un grand texte

C'est nous

qui avons vieilli

pas le monde

J'ai mangé

l'une après l'autre

mes petites illusions

Quant aux grandes

je me les garde

pour qu'elles éclairent durablement

ma sépulture

tels des joyaux

Pourquoi je me sens coupable

quand le bonheur m'envahit ?

Heureusement qu'il y a la mer

bleu-gris de son vert gorgé de mouettes

une barque jubilant on ne sait

au fond de l'eau ou dans l'ourlet des nuages

Heureusement qu'il y a ce large

retenant le souffle de la terre

et le vent coulis ondoyant de frondaisons câlines

Heureusement que l'homme peut se voir

sourire à son lointain sosie

autrement que dans les miroirs

Rien de ce que j'ai appris

ne m'a servi

à déchirer l'hymen de tes yeux

arbre serein de sève pérenne

qui m'irriguera encore

quand ma bouche s'éteindra dans les sables

Je suis né

pour aimer

la haine m'est étrangère

Les peuples heureux

n'ont pas de poésie »

La porte s'est refermée

L'ombre sans odeur

apparut sur le seuil

Le couteau a fendu le soleil en deux

avant de pénétrer

dans l'enceinte sacrée

du souffle

Sénac avait levé la tête

il regardait dans les yeux

riait

comme il en avait l'habitude

en tendant au premier venu

son dernier poème

 

! DIAMON~11

 

ABDELLATIF LAÂBI

 

! DIAMON~11

 

 

NOV 62

Correspondance de Jean Senac à Jean Pelegri

 

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