DE MON FRONT A SON INFINI
Je recrée, lignes de désir, mon pays, non pas pour ses avatars séculaires, mais dans le retour lumineux de la mémoire de ses soifs sur les rameaux légendaires de ses étendues.
Je le pratique sans cesse, dans un corps à corps épuisant, comme un nageur la nappe opaque, ou le semeur les sillons piétinés de transes de pluie.
J'ouvre, amoureux, les yeux de ses rêves. J'habite avec délice la pulpe de ses fruits.
L'histoire passée n'est pas terminée, pour moi.
A chaque époque, ses astres et ses traces, ses désastres et ses crasses.
La fuite numide, le sacrifice punique et le sel sur les cendres de Carthage...Le charivari du forum, l'élan du gladiateur, la rumeur des gradins ou l'ovation de l'arène... La cavalcade de la plèbe byzantine, la prière d'aube des chevaliers d'Allah, les rhéteurs de l'université arabe, les sbires marqués au fer du prince ismaélien et les ruses de l'homme à l'âne.. les incursions normandes, le fléau des croisés et les armadas d'Espagne...les captures barbaresques, les cupidités turques et sedjoukides et les insurrections frachiches ou imazighen..
Je voudrais ne rien oublier, du plus proche au plus lointain. Ne m'ont-ils pas légué une forme de présence, une part de moi-même, un peu de feu pour ma voix nue ? Je plante à ma manière les éclats de leurs langues, le brouhaha de leurs fêtes et les échos de leurs défaites dans les tissus viscéraux de qui je serai.
C'est à dire un livre palpitant de visages et de pierres, d'arbres et de semences, d'exils et d'errances, de reflux, de villages, de bras de tendresse et de cris de naissance, dans le jour dessiné avec du charbon sur les hauts murs du silence qui est l'attente et l'écoute d'un souffle extrême, où ma respiration s'abouche à un air chaud, volcanique, vécu dans toutes les irruptions de mes corps réunis, les terrestes et les célestes, les marins et ceux-là mêmes qui m'ont perdu...
Toute parole qui ne rassemble pas est un simulacre de vie...
Je suis dans un état de veille permanente où je décuple avec prestance mon défi et ma résistance à toute trahison, à toute humiliation de la vie..
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MONCEF GHACHEM
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Oeuvre Damian Elwes