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EMMILA GITANA
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28 avril 2013

OU COURS-TU ? NE SAIS-TU PAS QUE LE CIEL EST EN TOI ?

 

(...)

Commence alors le long calvaire de l’ignorance : une vie d’homme.

Tout ce qui te rencontre dès lors, tu le prendras pour réalité absolue. Tous les grimages, tous les masques, toutes les mascarades de la société et ses valeurs, les règles de jeu, les brouillages, les compromissions, tout est dès lors monnaie comptante.

Le premier homme et la première femme rencontrés – père, mère – sont tes dieux et marquent ta cire encore molle d’empreintes indélébiles. Leurs blessures deviennent les tiennes.

Cent fois la biographie te happe, cent fois tu en réchappes, cent fois elle te reprend pour te moudre et te broyer.

Tu dis « ma femme, mon mari, mes enfants, mon chien, ma maison ». Tu dis « mon boulot, ma brosse à dents ».

Tu dis « mon foutu caractère, ma veine ou ma déveine, ma carte d’identité, mes habitudes ». Tu le dis mais tu sens bien derrière ces phonèmes l’haleine du vide.

Tu sens bien que de tout cela tu n’as rien, que tu tâtonnes dans l’inconnu, les mains tendues, moites anxieuses. Tu te congnes à des coins de meuble dans des chambres inconnues.

Déjà tu ne reconnais plus rien de ce qui un instant plus tôt te paraissait familier, et c’est la peur au ventre, lancinante, qui te reste, bien familière, bien à toi… elle, oui, t’appartient. Elle est tapie dans le gargouillis des entrailles.La même qu’autrefois lorsque tu jouais à colin-maillard avec les enfants des voisins. Chaque fois que tu croyais tenir un pan de vêtement, on te le lâchait, vide entre les mains ; les rires t’égaraient, les frôlements t’appâtaient, les mains que tu croyais saisir te repoussaient, le tourbillon de l’épouvante grandissait, te vrillait dans un espace de plus en plus trompeur, étroit. Et quand même on finissait par t’ôter le bandeau pour que tu cesses au moins de pleurer, le monde que tu retrouvais était changé. Désormais tu n’avais plus confiance en lui, il t’avait révélé sa face croassante et grimaçante, sa gargouille.

Tu n’oublieras plus. La mauvaise mémoire prend grand soin des choses terribles et méchantes. Elle ne les rend plus, elle les conserve au vinaigre de la rancœur.

La biographie te tient longtemps lieur de vie – tu les confonds toutes les deux – et l’enfer de cette méprise barre le passage vers l’autre mémoire. Chaque souffrance neuve serre un tour de vis supplémentaire. L’invisible geôlier ricane.

Pourtant ton cœur est généreux. L’espoir te soulève, le désespoir l’écrase – mais la vie te jette d’une falaise à l’autre, de l’espoir au désespoir – et fracasse ton corps entre leurs rochers. Tantôt c’est l’espoir qui te saisit, l’espoir qu’il y a encore quelque chose à sauver et que tu vas y réussir. (…) Mais tout aussitôt c’est le ressac du désespoir qui te prend ! (...)

Etre plein d’espoir au cœur d’un désespoir total, appréhender l’unité parfaite de l’espoir et du désespoir ! Même la séparation que tu vis est inévitable, elle n’est pas pour autant l’unique réalité. Quand tu espères, tu es la part du monde qui espère, et quand tu désespères, tu es la part du monde qui désespère ! C’est tout.

La mémoire a des racines aériennes dans le passé, elle est vivante, imprévue. Elle ne tire pas en arrière, elle pousse en avant. Elle peut suinter partout où on ne l’attend pas.

Un jour, une saveur sur la langue, un lointain murmure, un trébuchement, un frôlement… Ce qui est certain, c’est que cela passe par le corps, par les sens, jamais par le savoir ou la volonté. Cela vient du fond des coulisses de la vie, de quelque coin empoussiéré, jamais visité, trop négligeable pour être exploré.

La vraie vie entre en catimini comme un voleur. Ni vu, ni connu.

Insaisissables. Voilà comment se réveillent la mémoire et la vie.

Imprévisibles !

Tu tires un fil et tu ne sais jamais ce que tu vas ramener à l’autre bout.

Tu cherches un timbre, une photo jaunie tombe entre tes mains, te voilà enseveli sous une avalanche de passé.

 

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CHRISTIANE SINGER

 

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MASQUE3

 

 

 

 

 

 

 

 

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