CHRISTIAN BOBIN
J'ai vu la mort éteindre deux yeux couleur de mirabelle. Ces yeux étaient ceux d'un petit chat noir à la maigreur franciscaine, sorti de la forêt qui entoure la maison où j'écris. Deux années d'enchantement ont suivi sa venue avant que la mort mette la main sur ce joyau. Dans la dernière heure, son corps adopte une souplesse de poupée de chiffon, ses yeux tiennent un peu jusqu'à ce qu'une sidération les écarquille et que leur couleur mirabelle inonde le monde. Son étonnement est alors d'un vrai penseur qui sent que quelque chose est sur le point de naître. Puis une lumière noire, liquide, luisante comme une laque couvre ses yeux. Quelqu'un dont le masque semble celui d'une divinité égyptienne me regarde à travers eux sans me voir — un juge si profond qu'il renonce à son jugement. Des royaumes de nuit me fixent, indifférents. Et tout prend fin. Une confiance, une douceur et une élégance ont ce soir-là à jamais disparu de l'univers. Quand je repense à cette soirée, un long éclair traverse mon cerveau et s'enfonce dans ses entassements blancs. J'avais eu le triste privilège de voir une innocence vidée en un instant de sa lumière. La grande vague noire lancée du fond des temps avait repris un des siens. Le chat avait rejoint la source de ses beaux yeux.
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Je sais ce que c’est maintenant, un chat : c’est quelqu’un qui ressemble à un chat, qui vient et qui vous prend le cœur.
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CHRISTIAN BOBIN
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