L'IRREVERSIBLE ET LA NOSTALGIE...Extrait

 Au premier abord on peut croire que l’irrévocable et l’irréversible se contredisent : selon qu’on insiste davantage sur la pérennité fidèle d’une durée conservatrice ou sur la fluidité insaisissable du devenir, on accentuera plutôt l’irrévocable ou plutôt l’irréversible ; l’irréversible, on l’a vu exprime que l’homme ne peut revenir sur ses pas, marcher dans les traces d’hier, revivre ou répéter sous sa forme primitive une expérience ancienne, faire renaître enfin le passé ; et l’irrévocable, à l’inverse, exprime que le passé ne peut être nihilisé. Résumons ici nos distinctions antérieures. L’avoir-eu-lieu irréversible, étant surtout un avoir-été (fuisse), est un passé fugace ; par contre le passé n’est que trop tenace quand il est “ irrévocable ” : dans ce cas l’avoir-eu-lieu irréversible est en général un avoir-fait (fecisse) et un avoir-voulu dont l’initiative appartient à la liberté humaine.

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Selon que la présence du passé n’est pas assez présente ou qu’elle est, au contraire, trop présente, l’homme souffre de l’irréversible ou de l’irrévocable. Notre présent louvoie ainsi entre deux impossibilités inverses : retrouver le passé perdu, se débarrasser d’un passé importun ; présentifier un passé trop passé, ou passéiser un passé trop présent. Plus généralement ces deux impossibilités elles-mêmes se rattachent aux deux tropismes fondamentaux qui caractérisent notre finitude, aux deux désirs inverses qui habitent l’homme de désir. D’une part l’être fini dit au destin : rendez-moi ce que vous m’avez pris ; ou bien : donnez-moi ce qui me manque ; et l’autre désir [...] demande en sens inverse : enlevez-moi ce fardeau dont vous m’avez chargé. Ainsi le veut la polarité élémentaire de l’attrait et de l’aversion.

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VLADIMIR JANKELEVITCH

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