LA MAPPEMONDE
Enfant je rêvais d'une mappemonde
j'enviais ceux de mes petits camarades
qui faisaient tourner la terre dans leur chambre
en voyageant assis sur leur chaise
à travers les mers et les continents
je n'en avais jamais parlé à personne
c'était un voeu que je voulais garder secret
pour ne pas rompre le charme du merveilleux
je me voulais marin contrebandier aventurier
j'imaginais des archipels à découvrir
où je rencontrerais la femme de ma vie
je savais que j'avais de vrais amis
qui ne me connaissaient pas mais qui m'attendaient
dans le désert, dans la savane dans la jungle
sur la banquise des Iles marquises jusqu'en Chine
Je me voyais arpenter les capitales du monde
aujourd'hui en allant faire quelques courses
je suis tombé en arrêt devant une mappemonde
qui trônait impériale dans la vitrine d'un papetier
j'ai eu envie de pleurer j'ai ravalé un sanglot
personne n'a jamais eu l'idée de m'en offrir une
et j'ai du voyager par mes propres moyens
en bus à dos d'âne à pieds rarement en avion
j'étais l'Ulysse du pauvre qui trimait trimait
pour pouvoir parcourir la mappemonde
je semais des poèmes le long de mon chemin
dans l'espoir peut-être qu'un jour ou l'autre
je tiendrais la terre dans mes bras
et lui réciterais en psalmodiant les noms fascinants
les noms magiques des pays et des lieux-dits
les noms des fleuves des montagnes des mers
les noms des îles d'un pôle à l'autre
je baiserais tendrement ses méridiens
je passerais du jour à la nuit et de la nuit au jour
j'enjamberais les tempêtes et lui soufflerais les vents
à coups d'index sur la ligne de l'équateur
je la ferais danser sur son axe comme une toupie
et j'entendrais vertigineusement battre son coeur.
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ANDRE CHENET