REFLUX
Quand le sourire éclatant des façades déchire le décor fragile du matin ; quand l'horizon
est encore plein du sommeil qui s'attarde, les rêves murmurant dans les ruisseaux des
haies ; quand la nuit rassemble ses haillons pendus aux basses branches, je sors, je me
prépare, je suis plus pâle et plus tremblant que cette page où aucun mot du sort n'était
encore inscrit. Toute la distance de vous à moi - de la vie qui tressaille à la surface de la
main au sourire mortel de l'amour sur sa fin - chancelle, déchirée.
La distance parcourue d'une seule traite sans arrêt, dans les jours sans clarté et les nuits
sans sommeil. Et, ce soir, je voudrais, d'un effort surhumain, secouer toute cette épaisseur
de rouille - cette rouille affamée qui déforme mon cœur et me ronge les mains. Pourquoi
rester si longtemps enseveli sous les décombres des jours et de la nuit, la poussière des
ombres.
Et pourquoi tant d'amour et pourquoi tant de haine. Un sang léger bouillonne à grandes
vagues dans des vases de prix. Il court dans les fleuves du corps, donnant à la santé
toutes les illusions de la victoire. Mais le voyageur exténué, ébloui, hypnotisé par les
lueurs fascinantes des phares, dort debout, il ne résiste plus aux passes magnétiques de
la mort.
Ce soir je voudrais dépenser tout l'or de ma mémoire, déposer mes bagages trop lourds.
Il n'y a plus devant mes yeux que le ciel nu, les murs de la prison qui enserrait ma tête, les
pavés de la rue. Il faut remonter du plus bas de la mine, de la terre épaissie par l'humus du
malheur, reprendre l'air dans les recoins les plus obscurs de la poitrine, pousser vers les
hauteurs - où la glace étincelle de tous les feux croisés de l'incendie - où la neige
ruisselle, le caractère dur, dans les tempêtes sans tendresse de l'égoïsme et les dérisions
tranchantes de l'esprit.
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PIERRE REVERDY
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