BENIS SOIENT LES MORTS
(…)
Amer sous notre langue le goût de la parole
de l’appel et du baiser de la femme
Nos cœurs se rétractent
comme une poignée d’air dans la main
Jusqu’à quand :
Rouillés, mornes, broyés par les questions ?
Anges ?
- Nous ne sommes pas des anges
Nous n’avons pas d’ailes
et le bleu n’est pas notre couleur
(…)
Renards ?
- Où est le champ libre
la volupté de la traque
et l’assurance du retour à la grotte de la nuit ?
Tyrans ?
- Nous n’avons tué que nous-mêmes
nos jours
et l’âme décrépite de nos enfants en proie au désespoir
Humains ?
- Mais nous ne ressemblons pas à nous-mêmes
Tortues ?
- Où sont nos carapaces, nos cous
et nos griffes qui écorchent l’air renversé de la catastrophe ?
Diables ?
- Que Dieu dise que nous l’avons abusé
et avons dressé contre lui les anges rebelles
Nous-mêmes ?
- Nous ne le sommes pas non plus
Nos douleurs ne sont pas en nous
et nos cœurs nous sont étrangers
Dans chacune de nos parties
un cadavre sommeille
un corbeau croasse
et se dresse un échafaud
Satisfaits de peu
dociles
chiots dans les rues, colosses dans les rêves
(…)
Ô grand dieu de la terre
(…)
Ô vieille chose
chose périssable
qui ne ressemble à rien
(…)
Rends-nous possibles
justes
compréhensibles
(…)
Donne-nous un mur
un toit
un bleu qui nous confirme la réalité du ciel insurgé
Provoque quelque chose
dévastation
folie
géhenne
séisme dans le lit
miracle dans le cercueil de l’enfant
(…)
Une chose, pas n’importe laquelle
un matelas moelleux par exemple
un moment de quiétude par exemple
(…)
Une chose simple, simple
(comme de se sentir vivants à ce moment du poème).
.
NAZIH ABOU AFACH
Traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi
.