LE BOIS DE VINCENNES...Extrait
En été, le crépuscule est beau dans cette partie sauvage du bois ; là où la terre se creuse entre deux vagues vertes. L’eau s’écoule. Les vagues glissent. Des têtes transparentes de serpents, souples et cristallines, aux lumières du couchant. L’eau du bassin s’élève et redescend telle une poitrine, unissant en elle le miroir du ciel et les images des arbres alentour. Des larves s’agitent, frémissent sous l’écume. Sur la rive, une feuille de l’automne passé regarde, couleur de cendre, fine comme la dentelle de soie d’une femme. Élimée sous les doigts du temps, par la neige et la pluie, réduite à la trame de ses veines. Une beauté.
Les cimes des hauts cyprès se touchent, tête contre tête. Le silence est une biche dans leurs bras. Ici, l’amour est sacré, il a la fraîcheur d’une miniature persane. il y a la présence d’une jeune fille apparue et disparue sous ces branches, d’une jeune fille qui a rejoint celles qui sont passées, porteuses d’une promesse : créer un ciel où elles m’auraient reçu, aurait-on dit, après ma mort.
Les arbres séparés par un ruisseau sont face à face comme dans une procession nuptiale. Ils attendent. Ils portent des soies de couleur. Le vert pâle domine comme un appel. C’est l’époux royal. De temps à autre, il jette sa bride lumineuse à la princesse des Alains sur la rive d’en face ; le coeur de la princesse palpite et ses cheveux luisent couleur de miel. Il tombe une pluie de perles, d’émeraudes et de diamants. Les feuilles sont diaphanes, simples et fraîches. Certaines ont la couleur brillante des plumes de paon. D’autres sont d’un violet foncé et douces comme des mûres noires. D’autres encore passées au henné. Il y en a qui sont d’argent, et qui frémissent entre le ciel et la terre, tenues par des fils de lumière. D’autres tremblent comme des gorges de colombes. Il y en a qui bourdonnent, qui vibrent comme des ailes de papillons. Et lorsque le ciel rougeoie derrière, et que le soleil, ce Bouddha d’or, sourit au-delà des innombrables colonnes de lumière, il règne un bonheur, une grandeur venant du temple étrange et colossal. Exilés, les oiseaux se précipitent dans la lumière, comme pris dans le filet invisible, ils se jettent dans un vol angoissé, ouvrant et refermant les tenailles de leurs cris, et secouant de leurs ailes le regard magnétique et venimeux de la verdure.
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NIGOGHOS SARAFIAN
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Oeuvre Mohamed Jaâmati