LE ROMAN INACHEVE...Extrait
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Ici commence l'enchantement du verbe et la malédiction des poètes
Regardez regardez ces enfants qui s'en vont dans la vie avec des sifflets et des cymbales
Ils jouent avec le feu
Ils font les sans-coeur mettent le désordre
Ils mêlent tout
Ils gâchent tout avec délice
Ils se sont munis de la crécelle des lépreux
Un raffut du diable et je méprise qui regarde où il met ses pieds
Les trompettes ne sont pas faites pour les chiens
Et si j’aime marcher moi dans les flaques d’eau
Voyez voyez ces enfants ridicules et grandioses
Perdus dans la forêt des signes perdus
Dans l'éblouissement des lumières et le jeu des ombres
Perdus perdus dans le labyrinthe inventé
La proie d'eux-mêmes d'eux-mêmes minotaures
Acteurs ambulants croulant sous les oripeaux portés
Les cordes qui tiennent les portants et qu’on est supposé ne pas voir
Les décors dévalés qu’on plante sur le mail
Les pancartes explicatives
Les maillots jaunis les basques brodées d’un mica qui se défait paillette après paillette
Tout le clinquant effiloché des songes
Et voyez-moi de quoi ces gens ont l’air au grand jour
Qui sans filet vont risquer leur vie aux lumières d’ail
Ou cracher leurs poumons d’étoiles
Et leur camp nomade au soir se fixe près d’une mare
Ou dans le terrain vague aux abords de la ville
Le froid te réveillera dans le scintillement d’aube des ordures
Et il leur faut chaque jour faucher le foin des rêves de la nuit
Où porter cette herbe
Où cette récolte inutile
Plus loin plus loin car sur le territoire de cette commune
On ne veut pas de vous Romanichels
Qui payez votre part en marchant sur la tête
Les mots m'ont pris par la main
Où suis-je
À quel petit matin d'égarement
Et qu’est-ce qu’il y a dans toutes ces voitures qui passent
Il faut les jurons des charretiers pour arriver aux Halles
On suit une idée on s'emballe on ne sait plus ce qu'on dit
Voilà
Cela commence comme cela les mots vous mènent
On perd de vue les toits on perd de vue la terre
On suit inexplicablement le chemin des oiseaux
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LOUIS ARAGON
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Oeuvre ?