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EMMILA GITANA
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22 mai 2016

CE QUI FUT SANS LUMIERE...Extrait

Peintre,
Dès que je t'ai connu je t'ai fait confiance,
Car tu as beau rêver tes yeux sont ouverts
Et risques-tu ta pensée dans l'image
Comme on trempe la main dans l'eau, tu prends le fruit
 De la couleur, de la forme brisées,
Tu le poses réel parmi les choses dites.

Peintre,
J'honore tes journées, qui ne sont rien
 Que la tâche terrestre, délivrée
Des hâtes qui l'aveuglent. Rien que la route
Mais plus lente là-bas dans la poussière.
Rien que la cime
Des montagnes d'ici mais dégagée,
Un instant, de l'espace. Rien que le bleu
De l'eau prise du puits dans le vert de l'herbe
Mais pour la conjonction, la métamorphose
Et que monte la plante d'un autre monde,
Palmes, grappes de fruits serrées encore,
Dans l'accord de deux tons, notre unique vie.
Tu peins, il est cinq heures dans l'éternel
De la journée d'été. Et une flamme
Qui brûlait par le monde se détache
Des choses et des rêves, transmutée.
On dirait qu'il ne reste qu'une buée
Sur la paroi de verre.

Peintre,
L'étoile de tes tableaux est celle en plus
De l'infini qui peuple en vain les mondes.
Elle guide les choses vers leur vraie place,
Elle enveloppe là leur dos de lumière,
Plus tard,
Quand la main du dehors déchire l'image,
Tache de sang l'image,
Elle sait rassembler leur troupe craintive
Pour le piétinement de nuit, sur un sol nu.

Et quelquefois,
Dans le miroir brouillé de la dernière heure,
Elle sait dégager, dit-on, comme une main
Essuie la vitre où a brillé la pluie,
Quelques figures simples, quelques signes
 Qui brillent au-delà des mots, indéchiffrables
Dans l'immobilité du souvenir.
Formes redessinées, recolorées
A l'horizon qui ferme le langage,
C'est comme si la foudre qui frappait
Suspendait, dans le même instant, presque éternel,
Son geste d'épée nue, et comme surprise
Redécouvrait le pays de l'enfance,
Parcourant ses chemins ; et, pensive, touchait
Les objets oubliés, les vêtements
Dans de vieilles armoires, les deux ou trois
 Jouets mystérieux de sa première
Allégresse divine. Elle, la mort,
Elle défait le temps qui va le monde,
Montre le mur qu'éclaire le couchant,
 Et mène autour de la maison vers la tonnelle
Pour offrir, ô bonheur ici, dans l'heure brève,
Les fruits, les voix, les reflets, les rumeurs,
Le vin léger dans rien que la lumière.

 


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YVES BONNEFOY

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Jaanika Talts2,

Oeuvre Jaanika Talts

 

 

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