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EMMILA GITANA
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10 octobre 2016

LE SOLEIL NOUS A BLESSES

L’écorchure a atteint le papier vierge. J’entends battre ton cœur sur le quai de la gare où tu m’attends. Tu flottes comme un chagrin à la recherche d’un câlin réconfortant. Les trains se succèdent dans la pénombre haletante, des bras et des jambes, un corps, un vertige, une matière assemblée et agile. Je ne peux te toucher.

Les mots font trop de bruit. Trop de fracas de feuilles dans l’écriture. Je peins le vacarme aux couleurs de mon souffle. Mille étages de couleurs s’effondrent en avançant.
Et si nous allions voir la lame qui découpe nos visages ?

Le silence, tel que je l’entends, n’est rien d’autre qu’un serpent sur le manche d’un couteau. Je pense encore à la poussière qui passe, aux trombes d’eau vinaigrées et au nénuphar solitaire derrière la lune. Nous sommes des passeurs. Avec soi, l’espace se garantit une limite. Nous sommes des convoyeurs d’air. Nos victoires et nos échecs imbibent le temps et s’offrent à la pesanteur lancinante des sources taries. Le sens que nous donnons à l’existence est celui d’un bohémien, un intrus dans notre sang. Le rouge est une couleur non sédentaire. Il a besoin de bouger, il a besoin de mouvements pour ne pas sécher sur place. Toutes les couleurs n’ont que deux préoccupations essentielles : se répandre et se mélanger à d’autres. Elles glissent le long des chaînes du temps. Un tableau surréaliste est suspendu après chaque nuage qui défile dans le prolongement de ma mémoire.

Je dors avec une lame de barbier sous l’oreiller. J’habite un sommeil tranchant et de coups étouffés. Des nuages épinglés à mes rêves, je chute comme la pluie qui réveille les arbres et les herbes. Des verres grincent dans les placards fermés. Tout près, des trains sans locomotive passent indifférents. Pourtant la voie qui s’ouvre se révèle neuve de toutes les tensions irrésolues et les rails détonnent dans l’espace qu’il nous reste à franchir.

J'aime embrasser le ciel muni de la patience et de l’insomnie qui brûle. Mes lèvres ont besoin de s’enflammer pour sentir les mots qu’elles mâchonnent avant de les projeter sur la vitre qui nous tient lieu de parloir. Mes oreilles se retrouvent sous le casque d’un motard et le bruit diminue. La vitesse, aussi. L’agitation m’entoure mais ne me pénètre pas. La tête entre les mains, la nuit dans la grange, quelque part des sources courent. Je dors devant la caravane qui passe. J’entends au loin des ombres qui se noient dans la nuit.

C’est le couac des ténèbres. Tout s’éparpille. Deux cratères polaires fondent sur les trottoirs souterrains. La froideur est exempte de frissons. Il y a deux trous noirs oubliés sur la rive et mes paupières pétrifiées. Jamais dans la cathédrale du silence un bruit ne fut aussi sourd.

Nous marchons côte à côte pour dénicher un coin de paix, un repos autorisé dans le couchant des ombres. Incurable tristesse d’un amour sans le soufflet qui attise des braises. Je ne vois rien ou si peu. Mais tu es là. J’entends presque ta voix dans les mots que je prononce. Je les répète et tu es partie. C’est un jeu de cache-cache où nous dansons autour du feu. La grâce des flammes vivifie le silence par lequel nous nous comprenons.

Nos joies quittent la larme coupante. L’air s’aiguise tout seul. Nous n’avons pas pu vieillir sur un coin de soleil mais nos tendresses associées enflamment la nuit. Nous sommes au monde dans le fait accompli et la présence du feu est devenue une prière transfigurée. Tu coules de ma mémoire terne et sans visage. L’amour est égal aux collines d’écumes où nous avons vu le jour. Je suis une amande posée sur la fenêtre. Tu es une fleur sur l’amandier. Nos saisons se suivent jusqu’au labour prochain. Le silence ne recule pas, il participe à la mélodie qui nous emporte.

Tu n’es plus là, l’évidence est morte avec toi. Rien ne tient plus dans le corset des vers qui grouillent dans le casier trop étroit de la terre. Là-bas, dans l’étang suspendu sous l’ardoise des verbes, le cri est une boule d’écume qui meurt au bout de la ruelle où le crépuscule chantonne. Une mue insidieuse broie la craie qui t’écrit.

Je ne te vois que là où tu n’es plus. Mais cela suffit au vacarme.
Ma tête est dans la tienne. Ton baiser sur ma joue. Tes éclats sont couchés sur mes ombres.
Un abat-jour filtre la pensée qui s’allume.
Un frisson s’arrache de mon ventre, expulsant des sanglots morts. Je pose mon regard sur tes joues en feu. L’appel de la vie est un tapis invisible que je bats au-dessus de la respiration. Le vide est plein d’armoires à étoiles. Ce qui brille ressemble à tes yeux. L’air se brise sur la cornée de la matière arrachée à nos mains et la poussière ensevelit l’espace qui nous engloutit.

Puis, le silence se redresse. Il se répète mille fois dans le noir bouillon d’une opaline. Une ligne droite cherche le bonnet de pierre qui nous cache. J’essaie d’apprivoiser l’heure qui remue par-dessus comme drap étendu.

Le vent est une amarre pour les copeaux de lumière.

Par de vains efforts pour ressusciter ce qui n'est plus, j’active les voiles pour leur faire prendre le vent. Mais tout est vitrifié. Je me tiens aussi proche que possible mais le souvenir déborde mes quais. L’éclaboussure est une gifle. Je te retrouve sur la digue. Nos mers sont recouvertes d’une nuée de corbeaux affamés.

La nuit réforme la substance du jour qui n’a pas dévoilé l’immobilité. Mort, je continuerai à me répandre comme une lame d’eau qui a rompu les digues du silence. Je transgresserai les frontières de l’oubli.

J’égorge toutes les agonies, sourdes, aveugles, muettes. Je romps avec le sens qui est pensé. La parole tisse les mots avec la langue. Spontanée comme le frisson, elle fait encore pleurer mes mains. Ephéméride horizontale, sans hauteur, sans pignon et sans axe, la voix décline l’énergie déployée mais la substance polyphonique se cache sous le feuillage des arbres où les oiseaux rêveurs se disputent le ciel.

Sans équivoque, le soleil nous a blessés et nous sommes déchirés par l’abus de clarté. Le jour est un organe sensible. Un violon de marbre violente ses cordes dans nos poumons. Je te regarde dans le vif de la faille. La brûlure n’en est que plus saisissante. Elle célèbre l’inconnu où s’uniformisent la beauté et la douleur et elle clame l’armistice entre les baies d’épices rutilantes.

Nos lèvres sont façonnées par la luminosité qui nous étrille. Nos voix sont debout comme la larme rampante couchée dans nos yeux. Une averse printanière inonde notre respiration. C’est l’allaitement incongru du sang aux mamelles de l’existence. Du sucre et du lait s’évanouissent dans l’air. Je ne peux toujours pas te toucher.

J’ai peur de penser. Peur de mes démons, peur de ces absolus que la nécessité voudrait régir par la douleur abusive. Je redoute tant de découvrir en moi le désastre de mes origines d’homme et les empreintes répandues à l’apparat du vide. Je crains que le sacrifice soit l'autel d'inutiles logiques. Tout ce qui éclaire ma vie intime accable le monde de sa trop grande puissance. Je m’effrite comme une raison qui ne connaît pas son fondement.
De ma voix, entends-tu donc les tremblements qui me font chanceler et m’ébrouer comme un linge épaissi de crasses indélébiles ? Je m’isole dans le temps interminable, sec comme un cri. Le tombeau des mots n’enferme pas toujours la mort dans le silence. Ils appartiennent au poids du monde comme à la légèreté des cendres de la voix.

Si tu veux bien, nous irons chercher dans l’absence tout ce que nous ne possédons pas dans le songe.

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BRUNO ODILE

 

 

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Francis Picabia 1

Oeuvre Francis Picabia

 

 

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