CENSÉMENT
Les figues, qui sont parmi les meilleurs fruits de la terre,
(je les eusse à la pomme préférées dans le Jardin)
mériteraient elles aussi leur place dans le Mythe,
comme elles nous donnent une aussi infinie douceur.
Autant les noix semblent contenir de la matière grise
en hémisphères dits des cerneaux, proches du cerveau,
non sans légers accidents du relief à leur surface,
en écho distant de nous, de leur squelette captifs,
autant la figue, plutôt évocatrice d’un ventre,
renvoie difficilement l’image de la pensée :
ses rondeurs de viveuse, sa douce ventripotence,
conduisent plutôt l’esprit sur les pistes du plaisir ;
cependant, s’en régaler ne paraît jamais obscène
mais nous plonge en l’état de communion avec l’esprit,
qui fusionne l’orient et l’occident sur la langue,
tumulte et calme, agitation et recueillement.
La noix, elle, résonne doublement sous sa coquille,
sans autant d’ouverture, avec moins d’ostentation,
alors qu’en nos palais un graphe ou stylet promène
jusqu’aux parages du nez, par les chemins intérieurs.
S’il n’est entre elles nulle ressemblance ou concurrence
dans le contexte de chaque fin d’un été indien,
nous rapprochons souvent, dans notre gestion de l’espace,
la forme, la couleur, et la densité de ces fruits ;
je fais l’hypothèse qu’on voie deux des manières d’être
qui sont nôtres, dans la tendre apparence de tels heurs :
invites au laisser-aller ou à la résistance
selon les plaisirs ou peines d’un monde si… mâtiné.
HENRI-LOUIS PALLEN
Oeuvre Jacques Vallery Radot