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EMMILA GITANA
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15 avril 2017

L'ÂME INSURGEE...Extrait

« Le poète, je vous l’ai dit, n’a pas la vie facile dans ce monde et ses besoins, pour exister, n’ont rien d’épisodique ou de professionnel. Il est voué à l’essentiel. Donc à la pauvreté matérielle. Une existence entière à préserver dans tous ses lieux, ouverte à ses passions, conquérant son intégrité. L’ampleur indispensable de l’espace et du temps, la solitude, le silence et la continuité. Les questions à poser vraiment ; la réponse à attendre de tout. Un travail où l’on entre une fois pour toutes pour ne plus le quitter, pour n’en jamais sortir avant qu’il soit fini, achevé. Un enrichissement profond qui rejette à mesure tout l’accessoire, tout le surplus intellectuel, la vanité, l’épate, l’encombrement de la mémoire et de tous les chemins d’accès, bref, ce qui n’est pas absolument la nourriture salutaire. Et le contrôle rigoureux, la vérification constante de tout cela sur tous les faits et gestes, à chaque instant de chaque jour. Un combat, s’il faut l’appeler de son nom, qui ne se ralentit jamais une fois qu’il est engagé, s’enhardissant de tous les héroïsmes aussi naturellement qu’une plante, en croissant, s’enhardit dans son vert. Car la grandeur, lentement, sûrement accordée à un rythme cosmique, élargit peu à peu son aire intérieure et le confort de son logement. Rien qu’une vie et rien qu’un lieu pour tout cela, c’est peu ! Mais une fois chez elle et bien à l’aise, elle commence ses aménagements, ouvre l’œil à de nouveaux regards plus vifs, plus pénétrants, éteint les complaisances, ferme l’oreille aux bruits satisfaisants de la musique et doucement, tendrement, l’habitue à l’écoute plus simple de l’ineffable, assouplit délicieusement les muscles orgueilleux de l’orgueilleuse intelligence pour l’exercer, loin de ses jeux futiles, aux pratiques du bond, du vol, de la plongée, afin de franchir l’apparence, de l’enjamber, de la tourner et de poursuivre, par-delà, sa chasse périlleuse – et parfois bienheureuse – de la réalité substantielle.
C’est vrai, on ne peut parler ce langage qu’à ceux qui le savent déjà, ou qui sont sur le bord, ou qui veulent y être. Il est peut-être vrai aussi qu’ils ne sont pas nombreux : on le dit, en tout cas, et les autres le croient ; mais comment le savoir si personne n’essaie ? Et puis surtout, que nous importe à nous ? Les autres sont des morts, un nombre seulement, des impersonnes qui sont nées mortes dans leur époque dont elles ne toucheront jamais le vrai moment du doigt ; de mornes effigies qui se figurent – oh ! non pas être : cela se sent – mais avoir, avoir une vie parce qu’un temps les véhicule et les agite, parce qu’elles ont un matricule et connaissent le numéro ; d’impossibles médailles frappées sur une face à l’image de l’homme et sur l’autre de rien, façonnées de ce néant auquel elles appartiennent. La prolifération grouillante du non-être. Un modelage de l’absence certifié copie conforme. Et parce qu’il est vrai que les institutions que les hommes se sont données, jusqu’aux églises qu’ils se veulent à présent, ne font toujours appel qu’au pire de nous-mêmes et jamais au meilleur, on comprend que l’humanité soit démoralisée et ne puisse jamais apprendre ce qu’elle vaut, tout près de quelles plénitudes elle promène son vide, devant quelles félicités immensément impatientes elle accable son cœur d’ombres sordides et d’amertumes imbéciles – incapable dedans de s’inventer, incapable dehors de sentir son péril. Car la violence, évidemment, est le seul exutoire de ce mutisme intérieur. 
...
On ne devrait jamais l’oublier, la vie n’est pas un état mais un risque, et qui s’ouvre toujours plus. Grandiose. Une conquête qui n’en finit pas. Un voyage – au sens où Schubert l’a certainement vécu – mais un voyage incertain et dur, à la mesure de ceux, et de ceux-là seuls, qui sont capables de marcher.
Il vaut donc mieux, croyez-moi, ne pas trop se fier aux ruminants intellectuels qui vivent à la ferme, engrangeant le foin et la paille de leurs savoirs récoltés. Les hommes de cabinet, laissez-moi vous le dire, ne font pas de bons compagnons de route.

Vivent les hommes de plein vent ! »

 

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ARMEL GUERNE

 

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VENT

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