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EMMILA GITANA
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26 juillet 2017

LA CLARTE DES HEURES INHIBEES

Tu es présente comme une dérobée aux vestiges du bleu. Je suis friable à la nuit qui m’ensorcelle. Tout ce qui disparaît est une clarté dans de l’eau sèche. Dans ce court-circuit de vide, la parole est une fusillade du langage. Chaque mot devient un projectile vivace. Nos adolescences nous ont chargés des fièvres qui augurent la brûlure. Sac à dos de tourments que nous n’avons pas eu le temps de défaire. Notre enfance commune siffle sur les parois de ma mémoire. Tantôt comme des étourneaux joueurs, tantôt comme des coups de rasoirs sanglants. Nos paroles sont des larmes d’eau salée : celles sauvées des mers, celles démunies de nos actes délaissés à l’outre-tombe. Nous allons, je le crois, chercher dans la mort, dans l’épuisement définitif. Nous piochons à l’horizon qui nous condamne pour lui donner le sacrement des couleurs perdues. Nous délogeons l’immobile paralysé dans nos illusions. Nous extirpons à la matière le suc de lumière qu’elle renferme. Nous tramons la parole du jaillissement à nos effondrements. Nos mots sont le délabrement reconstitué du fatras, dans la manducation indélébile, dans le masticage de notre permanence. Et nous sommes devenus son muscle. Son poumon artificiel. Sa sarbacane empoisonnée et sa surenchère la plus audacieuse et la plus folle.

Mon désir est une faim dominatrice. Ma parole est née dans le feu, c'est-à-dire dans l’air brûlant de mes chaudières à fabriquer les teintures qui ornent le dire. Insatiable, le roulis des flammes exécute leurs danses. Intarissable, cette en-vie tue la précédente. Le mot ajoute au monde sa carrure et sa vitalité à vouloir le posséder. Te dire ma conviction : mon opinion est comme inutile et vaine. Trop d’appétits sont claustrés aux extrémités de mes fondations. Et même si le langage m’est un secours, la terreur qui habite mon sang fait brousser le lait de mes sentiments. Parce que te parler d’amour, c’est barboter avec la jouissance extrême qui déambule aux bords de mes gouffres. Parce que chaque ravin renferme mes consentis sous les mâchoires de la peur.

Ces lambeaux de mémoires étalés en charpies se sont transformés en d’inoubliables peaux d’arlequins désarticulés. Amnésiques paroles d’un autre temps. Retrouvailles taguées sur nos adieux poncés comme des pierres précieuses à jamais décaties. Notre histoire repose sous les décombres du néant et nos voix sont nues. Elles ont décortiqué la parole partagée devenue de la poussière d’argile et notre défaite flotte au-dessus des remparts de l’éternité.

J’ai longtemps cru qu’il fallait dire adieu à cette route morte. Les mots en double file débordaient des parenthèses qui entouraient notre nuit intérieure. Des bruits vifs comme ceux d’une hache remplaçaient le son de nos voix. Ma mémoire s’était figée et des images s’envolaient comme des confettis que l’on jette par-dessus l’épaule du temps. Dans le miroir de nos enfances, des jeux et des promenades se reflétaient par delà les manches du vide. Soudain une bouteille à la mer, un courrier plié dans le verre et notre présence retenue éclata à nouveau sur la muraille du silence. Les mouettes sur le haut de la falaise s’envolèrent d’un seul tenant, un corps d’ailes blanches traça une branche au milieu du ciel. Et la terre devenue une interminable plate-bande fiévreuse céda aux frissons mortels des ombres condamnées.
Et puis, tes yeux qui s’entendent. Tes mains décroisées comme les cordes qui annoncent le départ du navire. Tes lèvres impuissantes à délivrer le message vaincu s’offrent aux heures précaires courtisées au chagrin. Tu t’es disloquée dans la véhémence et la défilade. Tu t’es inclinée en glissant dans une aventure solitaire, dans un parcours où plus personne ne peut te suivre, telle une Eurydice et son adieu fatal. Mais, je suis venu recoudre ma vie dans ta mort. De tes doigts, des lignes de tes mains, je m’écris d’une encre tienne. Nos patiences sont crucifiées sur nos langues, comme des repentis inavoués. A l’horizon égaré, ta brèche semble être un fourreau de noir pour les commentaires que tu ne feras jamais. Dans l’enclave inhabitée, je me fuis de ton départ et tente d’aboutir en un lieu inaccessible à la vie. Au chevet de ton fantôme, mon présent malade grime l’entente complice comme si nous étions deux.
L’imaginaire accouple les mondes et ramasse l’éternité faucheuse comme le vent soulève mille fragments invisibles qui le composent. Le temps sape le sédentaire et dérate le flot des histoires, laissant courir l’inconnu jusqu’au bout des chemins sans issue. Il mesure, divise, enfante et tutoie le parcours des dilatements charnus. De larges fumées épaisses brassent l’innommable de nos promesses, de nos dénis et nos déchirures. Une collision d’étoiles et de foudre terrasse le vertige. C’est un élément du mystère de l’existence, et nous sommes intégrés au dérèglement des heures. Toute notre histoire ne tient plus qu’à un fil, fragile et vulnérable. Son balancement s’exécute inexorablement bafouant toute gravité comme les étoiles soutiennent le ciel lorsqu’il se renverse. Dans cette constance immuable, les mots flottillent dans la suspension. Te dire, c’est offrir des bribes d’instants à l’éternité décagoulée, c’est catapulter nos émotions à la bouche de l’horizon rêvé. C’est inscrire nos similitudes et nos immédiatetés sur la fougue consumant nos lèvres, nos corps et nos coeurs.
Nos mots sont des vagabonds hors de leur maison, hors des refuges qui ont accueilli leur naissance. Et, si je t’écris encore, c’est à l’échappée, à la volée des sentiments qui me tordent et me fripent. Ces marauds impénitents criant leurs brasures comme des glaives de justice, ils tranchent les voiles des combats perdus d’avance. La vérité s’augmente dans la pureté des songes. C’est une lutte sans lutteur, un ciel sans oiseaux. C’est l’impertinence lovée dans le verrouillage de nos blessures. Nul clandestin n’y survit. Le cafouillage amorce toujours la souveraineté de l’inexistence.

Tu vois, je remplis ton image des mots que j’ai amassés, conservés dans mon ventre depuis l’heure de ton départ. Ton image est fourmillante et mon sentiment s’ouvre à l’écoulement de la parole sans qu’aucune trêve ne l’embarrasse.

Des guenilles de vie, transportées malgré elles, affluent vers des contrées où l’on a oublié la langue parlée des jours lointains. Des tissus déchirés laissent dépourvus la raison percée de ses expériences les plus tragiqur oubliée et dépassée. Des étoffes transcrites à la connaissance mutilée du monde.Une terre trouée par l’explosion de nos besoins. Une terre que tu as laissée si soudainement et qui persiste à hurler sous mes pieds. Tu rôdes dans mes cellules, cachée dans le teint vermeil de la langue. Et, tu t’infiltres en parallèle à nos sens éteints. Tu es restée présente dans le chambardement. La brisure est telle, qu’espérer la saisir, l’interpréter, en disposer, est aussi vain que de vouloir retenir dans ses bras la neige d’un printemps, cet œuf mort dans l’hiver.

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 BRUNO ODILE

 

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paul ranson2

 

 

 

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