MALADIE MENTALE, LE JOUR M
" Nous avons moins besoin d'adeptes actifs que d'adeptes bouleversés "
Antonin ARTHAUD
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On décrète à l'envie la journée de la santé mentale
de l'être encore viable qui serait atteint de maladie et de déroute
mentales
à vrai dire d'exclusion et de réclusion maquillées
et fort heureusement de nos jours prises en charge
Un mal aux multiples facettes aux versants de la douleur contenue
un fléau con-génital et incurable
que l'on traite et place à l'écart de l'existence réelle des profits
Aura-t-on humblement et sagement évoqué la possibilité
des dérives malignes que nos sociétés engendrent
enfantant à l'envi leurs lots de sujets torturés
meurtris et blessés au tréfonds de l'âme à jamais inqualifiable
l'Âme que l'on ne résout pas telle une équation
Oui j'aurai connu ces tombants de vie où l'homme sombre
naufrage et déchoit des décennies durant Je fus à ses côtés
J'aurai pleuré le frère l'ainé et l'autre cadet frappés de plein fouet
n'est-ce pas Schizo-Frère puisque je t'ai accompagné
dans la maladie le rude tourment et la solitude tonitruante d'une terrible geôle
depuis longtemps avant que de chuter au paradis
car je mesure et connais maintenant si près de toi
les affres et les pics subreptices invasifs qui te ceignaient
nuits et jours désespérément entés aux pensées suicidaires
qui persécutaient ton quotidien qui lancinaient sans répit
hors du temps penser perpétuel comme l'étreinte de la mort latente
Mais je sais aussi et comment j'ai pu te rejoindre marcher
et courir sur tes brisées malgré moi au cours d'une traversée
au bout du cloaque asocial hiérarchique vilement travesti
J'ai fini mon frère comme toi par entendre des voix stridulantes
celles de l'incessant monologue et de l'obstination à se justifier en errant
face à l'intransigeance impitoyable du goulag du système
Tel un chasme béant devant soi et pour ultime nuit
uniques réveils sans autre horizon ni autre repentance
j'ai affronté la désespérance de l'immersion professionnelle souillée
au bord du suicide de la révolte armée à retourner la lame et le canon contre soi
J'ai su et vu combien l'homme conscient sensible et de raison
ne mesurait jamais assez les profondeurs et les affects
du gouffre du trouble mental de la psychose permanente
immanente irrévocable ubique et j'en passe
que la méchanceté et les jalousies instillent à doses homéo-pathologiques
C'est une large blessure qui ne se voit pas un regard hagard
des mimiques irrépressibles aux tremblements affolants
dont seuls les barbituriques les psychotropes les neuroleptiques
puissants peinent à endiguer le mal à dévier la persécution récurrente
Exil au terme de la culpabilité dans un monde de guerre
le fer sans le faire qui donnerait une chance à la résilience
et repousserait peut-être le malin aux confins de la vérité thérapeutique
Il me rappelait A. Arthaud non par son génie littéraire
mais au terme avoué de ses visions et de sa clairvoyance
qui m'auront sainement guidé puis accompagné
sur les rives de la bonté de l'animal qu'il adorait
d'une sensibilité qui aurait apaisé tout le mal de terre et aux mondes
qui me frappe et qui m'obsède entre les deux pôles connexes
du silence et de l'absence en fait de la grande déréliction
Maladie mentale dites-vous ? Mais non Vous n'y êtes pas
disons plutôt réactions sédition consciente et bridée
insurrection étouffée mal être aux univers artificiels
brisant le lien et les sains ferments de l'âme qui eussent pansé le vice
exalté le droit à la différence et au juste discernement
sans le jugement de valeur infamant et la rumeur odieuse
Alors que l'autorité nombre son lot de forfaitures où qu'elle soit
sous toutes ses formes dès lors qu'elle nie sans frein le droit à l'unicité
à l'expression de la liberté fondamentale d'agir et de penser tout haut sans bavures
Il me parlait souvent de Dieu de la mort et des Pensées
du " Roseau Pensant " Deux ans avant sa mort mentale
il rédigeait une composition française remarquable sur le sujet des infinis
Aujourd'hui je suis fier tellement atteint de lui donner l'écho
de toiser l'étendue du silence et le tumulte de la nuit
J'invective je con-chie les cons qui nous auront infectés ou alors brisés
malgré la foi la rage de vivre et de vaincre le chancre sociétal
Entre lui et moi une main reste tendue qui couvre qui apaise les maux
hélas et encore à demi mots susurrés emprisonnés
dans un seul et unique regard aux abois même pas peur de mourir
Il est d'un monde dont on ne revient jamais prétend-t-on encore
Je suis de celui qui fait toujours plus mal à l'âme je suis des bouleversés
cerné de discorde de parjure et d'outrage à la fidélité et à l'essence
Mortellement touché sans saigner autrement qu'avec les larmes
quand elles ne sont pas sèches à l'instar du cri du râle du sanglot
étouffés d'une guitare aux accords grimés et sauvagement assassinés
Lui aussi écrivait en s'égarant sitôt dans les arcanes du trouble mental
Je l'aurai suivi depuis les vires du vertige le saut de l'angoisse la peur
non de trépasser mais de durer sans le rêve ni la probabilité
d'une île où trouver le repos des lames des brisants
des écueils létaux La mer y pourvoit à jamais miséricordieuse
et meurtrière à la fois franche et loyale mais respectueuse sans détour
aux signes prémonitoires qui ne trompent pas
Et je dérive et je vague à l'âme en délirant en laissant
dans le sillage de l'oiseau quelques fragments embarqués à bord de la folie
ces bribes intemporelles de démence non sénile qui m'aident à dessiner l'éternité
comme on le ferait de l'énigme d'un conte du jeu de piste
En cela tu m'éclaires Schizo-Frère puisque tu me parles
et que par toi je relate librement au gré des vents des sternes
un peu plus près du ciels à chaque fois
Je me souviens d'une nuit noire d'un mois d'Août
au coeur des Écrins enfant du Pont de l'Alp et de la Guisane
des lampes torches des faisceaux du bruit de la précipitation
Nous comprîmes et décelâmes le sens tragique des voix
des " Grands " appelés en urgence par le Guide tout là-haut
vers la face Nord de l'Aiguillette
Une cordée venait de dévisser de chuter Il y avait des blessés graves
l'hélicoptère scandait dans la nuit étoilée le sourd tocsin du chagrin
Tu étais le premier devant équipé fin prêt à affronter l'adversité à sauver
Tu vais dix-huit ans et dévorais la vie avec amour et altérité
Le petit benjamin du centre de Montagne de l'Abbé Pierre était si fier de toi
Qui eût dit ou envisagé le cruel décours de cet empoisonnement
le cheminement irréversible des molécules artificielles
de la bio-chimie altérant jusqu'au point de rupture le comportement mental
erzatz qui frappent par dizaines de milliers nos frères et soeurs de fortune
celles et ceux que comptent les innombrables lits de la détresse de la séquestration
inéluctable et à perpétuité
Tu auras exploré toutes les voix du silence
ton compagnon d'aventure ne te laissant pour haltes
que des îlots de souvenirs lointains
des bribes de récits inachevés qui auraient bâti ta légende
comme nous bâtissons toutes et tous la nôtre
si tant est qu'elle cadre avec le moule uniforme des masses
concassées hélas envers et contre toute humanité
D'aucuns résistent d'autres trébuchent et tombent
ou ne se relèvent pas du moins tout seuls une chape sur le dos
courbés et tassés qu'ils sont les épaules rentrées l'échine voûtée de l'affliction
qui nous disent la misère et le faix des aléas et de la voie mentale
socialement civiquement institutionnellement infectés
Certains chantaient " Je suis Malade " " La Maladie d'Amour "
D'autres évoquaient " Bicentenaire " " Pauvre Martin pauvre misère "
Marin-Jacques vomissait " Ces Gens-Là " en nous abandonnant trop tôt
Les poètes rêvaient " un Jour un jour sur la plus haute branche "
Je chante avec Toi, Georges, " Les Copains d'Abord "
Mais " Madame promène toujours son cul sur les remparts de Varsovie "
renchérit le grand Brel à l'orée de la curée et de la Grand Messe
Rien n'aura vraiment changé qui maudit toujours le faible
le déshérité le sans abri le laisser pour compte du clan et du complot
Dieu aurait même échoué laissant l'homme-Dieu faire tristement ses armes
citoyennes au non de la connaissance et de l'esprit dévoyés
chers au XXI siècle Je pense à toi Schizo-Frère regarde Michel
écoute encore avec moi ce qui fait le lisier gras le terreau abjecte
des viles épidémies humaines et par trop humaines
qui se répandent voraces et insatiables jusqu'aux frontières
de la torture animale enfantine in-humaine de l'injuste maladie mentale
dont je suis et renais tous les jours au nom du père de la guerre
de la supériorité infernale du groupe invalidé festonnée de poudre d'or et d'argent
Dis-moi sais - tu quand je vais quitter ce putain de monde de merde ? Des fermes de sang aux holocaustes aux abattages et aux tueries organisées il n'y a qu'un pas que nous n'aurions jamais franchi. Ils nous auront ravi la foi la passion et nous savons tous les deux, mon frère, qui ils sont
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CRISTIAN GEORGES CAMPAGNAC
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Oeuvre Isabelle Malzemat