BELLES SAISONS...Extrait
Crépuscules d’hivers, lampe rouge dans la nuit, vent âpre qui se lève après la chute du jour – jardin deviné dans l’air noir, rapetissé, étouffé de neige, sapins accablés qui laissiez, d’heure en heure, glisser en avalanches le fardeau de vos bras –, coups d’éventail des passereaux effarés, et leurs jeux inquiets, leur coucher dans une poudre de cristal ténue, irisée comme la brume d’un jet d’eau… Ô tous les souvenirs d’hivers, tous les noëls de mon enfance, que cette rêverie de Noël vous rende à moi ! Que mes souvenirs, avec une chute molle et silencieuse de pétales, viennent un à un remplir cette mule étroite, tombée de mon pied nu, devant un feu échevelé où ressuscite et se consume l’image d’une enfant fraîche et saine, en tablier d’escot noir, hâlée de froid, roussie de soleil, les pieds impatients dans ses sabots de frêne noirci, et qui ne connut pas les sabots de Noël !…
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Qu’il est chaud à mon cœur, encore, ce souvenir d’une fête glacée, sans autres cadeaux que quelques bonbons, des mandarines en chemises d’argent, un livre... La veille au soir, un gâteau traditionnel, servi vers dix heures, saucé d’une brûlante sauce de rhum et d’abricot, une tasse de thé chinois, pâle et embaumé, avaient autorisé la veillée. Feu claquant et dansant, volumes épars, soupirs des chiens endormis, rares paroles – où donc mon cœur et celui des miens puisaient-ils leur joie ? Et comment le transmettre, ce bonheur sans éclats, ce bonheur à flamme sourde, à nos enfants d’aujourd’hui ?
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Vers décembre les enfants changeaient d’humeur, parlaient bas entre eux. Parfois ils sautaient sur place comme des chèvres, parce qu’ils pensaient à ce que Noël leur apporterait… Ou bien ils devenaient songeurs, hantés de doute, en pensant à ce que Noël ne leur apporterait pas. Petite, je pensais surtout à la nuit unique dans l’année, au trouble et à l’insomnie qui sonnait les heures. Il est difficile à un enfant d’escompter avec calme l’approche d’une félicité, même si elle se limite à un repas familial, à une veillée, à un livre neuf et des bonbons venus une fois l’an du chef-lieu. “ Je me demande, disait ma mère, pourquoi cette petite a mauvaise mine chaque fois qu’elle devrait être contente.
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Sur la grande table, on a simplement poussé un peu de côté les livres à tranche d’or, le jeu de jacquet et la boîte à dominos, pour faire place au gâteau arrosé de rhum et au vieux frontignan décoloré… Il y a aussi le thé de Chine, qu’on me permet cette nuit-là, qui me tient éveillée et le cœur battant vite, jusqu’au jour. Il y a encore la chatte aux trois couleurs, affairée, miaulant de gourmandise, et que la jolie voix de ma mère appelle d’un long cri musical : ‘‘Mînne !’’ Il y a, partout, le chaud désordre d’une maison heureuse, livrée aux enfants et aux bêtes tendres…
COLETTE