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EMMILA GITANA
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8 janvier 2018

NOMADE

Je traverse en nomade le grand corps du monde, de la fraîcheur des sources jusqu’au vent du désert, de la froideur de l’eau jusqu’aux habits de flammes, du rhume des objets jusqu’à la toux de l’âme, du sel de la mer jusqu’au fil de salive, des grottes de Lascaux jusqu’aux mots sur la page, de l’amibe encore chaud au cristal de Bohème, des hommes dans les mines aux femmes à ciel ouvert. Je traverse le monde comme un ruisseau perdu où viennent boire les bêtes. Je recueille une à une les larmes oubliées, les ailes des oiseaux pétrifiées dans la pierre. Je marche en titubant de la blessure au baume.

Je voudrais bien savoir de quoi parlent les arbres quand le vent les visite, ce que chante un oiseau pour endormir le nid. Nous apprenons la vie par les gestes qu’on pose. Nous apprenons la langue par les mots que l’on dit. Je construis ma demeure avec du bois d’homme. Je croise sur la page la baleine et l’agneau, la montagne et le pain, la source et le volcan. Ils se comprennent mieux que les hommes s’accordent. L’espérance y butine les insectes en fleurs. Des plantes inconnues escaladent le roc. À l’école du vent, les papillons par paires potassent le pollen. Les arbres du verger ne comptent pas leurs pommes. Ils se dessinent un cœur dans les lignes de l’aubier.

Je regarde le ciel sans oublier la terre. Plus léger qu’un oiseau qui marche sur la neige, je déchiffre du pied l’hexagramme des pas. Je veux tisser ma vie sans en briser le fil. Le plus beau des arbres a les racines tordues. L’abîme le plus creux aspire au soleil. La grosseur des bourgeons me tient lieu de journal. Avec le vent qui passe, les aiguilles de pin font des calligraphies. Il faut croire à son ombre autant que le soleil. Sur la route du yang, la charrette du yin bringuebale parfois. Sa vieille roue de bois ne reste pas en place. Pâle croissant de lune, je traverse en nomade l’histoire du ciel. Je cherche encore la porte pour entrer ou sortir, un horizon sans borne, une horloge sans temps.

J’ai préféré la vigne aux escaliers de marbre, les branches du pommier aux carcasses d’autos, les ronces dans les mûres au bois des balustrades. Sous les sabots du cerf, on n’entend plus la terre. La peur du chasseur fait taire les oiseaux. Même le vent dans les feuilles est une cloche sans battant. La rivière qui chante ne finit plus ses phrases. Que savons-nous au juste de la souffrance des pierres, de la peur des enfants, de la tendresse des épines ? Que savons-nous des arbres enfermés dans les portes et le bois des matraques ? Que savons-nous des morts que l’on bâillonne encore, des étoiles aveugles et des bêtes qui boitent, du courage des plantes sous le poids de la neige ?

Je ne compte pas les jours mais les cailloux blessés. Les chiffres de la pluie s’additionnent aux parfums. Le soleil multiplie les tiges du jardin. Sur la falaise de l’homme, je m’accroche aux images pour ne pas perdre pied. Je laisse sur le roc des cicatrices en feu. Dans la chair des mots, la pointe du scalpel est le bout de la langue.

 

 

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 JEAN-MARC LAFRENIERE

 

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NATH.

Photographie Nathalie Magrez

http://www.mondessensibles.canalblog.com

Commentaires
N
Très beau texte, illustré par une superbe photo !!!
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EMMILA GITANA
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